Deux ans après les quatorze journées de mobilisations contre la réforme des retraites, les partenaires sociaux en ont (au moins pour un temps) récolté les fruits. «Je proposerai au Parlement dès cet automne que nous suspendions la réforme de 2023 sur les retraites jusqu’à l’élection présidentielle», a déclaré le Premier ministre lors de son discours de politique générale mardi, devant une Assemblée retenant son souffle. Et d’enchaîner : «La durée d’assurance sera elle aussi suspendue et restera à 170 trimestres jusqu’à janvier 2028.»
Lors de ses échanges avec les forces politiques vendredi, Macron proposait de décaler l’âge de départ des 63 ans prévu le 1er janvier 2027 d’un an, sans toucher à l’acquisition des trimestres. En allant plus loin sur la modification du texte totem de la macronie, Sébastien Lecornu répond à la principale demande que lui adressait le PS sous peine de le censurer. «Je veux remercier les organisations syndicales», a lancé le socialiste Boris Vallaud au pupitre du Palais-Bourbon. Avec la proposition du Premier ministre, l’âge légal n’est donc pas décalé mais bien suspendu, et donc, immédiatement gelé. Concrètement, l’âge de départ est aujourd’hui de 62 ans et 9 mois, et ce jusqu’au 1er janvier 2028, «comme l’avait demandé la CFDT», a souligné le locataire de Matignon.
«Premier coup d’arrêt»
L’accélération de la réforme Touraine – qui prévoit de passer de 42 à 43 années de cotisations nécessaires pour partir à taux plein –, présente dans la réforme Borne, est aussi gelée. Sans cette suspension, la génération 1964 (sauvée par le gong) aurait dû cotiser 171 trimestres, et celle de 1965, 172 trimestres, soit 43 ans. Jusqu’en janvier 2028, il faudra désormais – comme c’est le cas pour les générations aujourd’hui sur le point de raccrocher – cotiser 170 trimestres pour partir à taux plein. Le Premier ministre a toutefois conditionné la suspension de la réforme qui «coûtera 400 millions d’euros en 2026 et 1,8 milliard d’euros en 2027» à des économies.
«Pour les prochaines années, ce sont 600 000 à 700 000 [travailleurs], par an, qui vont bénéficier de cette suspension», s’est réjouie la CFDT, tout en ajoutant que les «élections de 2027» seront décisives pour les générations nées après 1965. «Un geste très fort, qui prouve que même les deux journées de grève [le 18 septembre et le 2 octobre, ndlr] de la rentrée ont été utiles», estime le président de la CFTC, Cyril Chabanier, en pointant «le rôle essentiel des partenaires sociaux» dans cette suspension. «En quatorze journées de mobilisation, nous n’avions rien obtenu», analyse le syndicaliste.
Si le syndicat présidé par Marylise Léon rappelle qu’il s’agit «du premier coup d’arrêt» du texte depuis son adoption via 49.3 en 2023, la CGT, qui réclame son abrogation, y voit un simple «décalage». «Les 64 ans et l’allongement de la durée de cotisation seraient toujours dans la loi mais leur application serait seulement décalée de quelques mois», argue le secrétaire confédéral de la CGT, Denis Gravouil. Du côté de Force ouvrière aussi, cette suspension n’est qu’une étape avant l’abrogation de la réforme. «On ne sait pas ce qu’elle deviendra en 2028», dit le secrétaire général du syndicat, Frédéric Souillot.
Airs de déjà-vu
Si – comme peut désormais l’espérer l’exécutif – le gouvernement survit aux motions de censure qui seront examinées jeudi, les partenaires sociaux pourront en tout cas en discuter lors d’une «conférence sur les retraites et le travail». Et la pile de dossiers à aborder est haute. Sur les retraites d’abord, la CFDT devrait plébisciter le système de «retraite à points». Dans ce modèle engagé en 2019 (et stoppé en 2020), «il n’y a pas besoin d’âge légal», expliquait Marylise Léon la semaine dernière. D’autres devraient relancer le débat sur la capitalisation – système de retraite individuel basé sur les placements des actifs – évoqué à plusieurs reprises par le camp macroniste ces derniers mois.
Le sujet du calcul des retraites des femmes et la pénibilité – sur lesquels Lecornu s’était déjà montré ouvert à la discussion auprès des partenaires sociaux avant de démissionner – devraient aussi faire l’objet de débats. «Les syndicats patronaux pourront aussi prendre leurs responsabilités», a précisé Sébastien Lecornu en fin d’après-midi mardi, en réponse aux présidents de groupes. La réforme de l’assurance chômage donnera aussi du fil à retordre au nouveau ministre du Travail, Jean-Pierre Farandou, PDG sortant de la SNCF. Pour la CGT, cette conférence a des airs de déjà-vu. Elle «fait renaître de ses cendres le «conclave» de François Bayrou et redonne la main au patronat». Avec Jean-Pierre Farandou, choisi pour son expérience du dialogue social, l’Etat espère une issue sera différente.