«Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage.» L’adage de Boileau vaut ces temps-ci pour le revenu universel, dont l’idée revient s’installer dans le débat politique à la faveur de la crise économique et sociale, engendrée par la pandémie de Covid-19. Marginalisé depuis l’élection présidentielle de 2017 et la sévère défaite de Benoît Hamon (6,36 %), dont la mesure était bien placée dans le programme, le concept est désormais présenté par certains comme remède possible à l’explosion de la pauvreté et de la précarité.
Si des dispositifs comme le chômage partiel, pris en charge quasi intégralement par l’Etat, ont fait leurs preuves en protégeant des millions de salariés, la période a aussi mis en lumière un certain nombre de «trous dans la raquette». Privés des petits boulots qui les faisaient subsister et du RSA, accessible seulement à partir de 25 ans, des milliers d’étudiants se pressent chaque jour dans des files d’attente à rallonge pour obtenir une aide alimentaire. Quant aux (souvent jeunes) travailleurs des secteurs frappés de plein fouet par la crise (hôtellerie, restauration, saisonniers…) qui n’ont pas pu travailler assez en 2020 pour bénéficier de droits au chômage, ils ont dû attendre vendredi dernier pour obtenir une aide exceptionnelle, enfin débloquée, allant jusqu’à 900 euros par mois. Mais avec une mauvaise surprise pour nombre d’entre eux : sur les 450 000 qui devaient bénéficier automatiquement de l’aide, 130 000 devront encore prouver leur situation auprès de Pôle Emploi. Pas étonnant, dans ces circonstances, qu’un revenu universel apparaisse comme une solution aussi simple qu’efficace.
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Encore faut-il s’entendre sur ce dont on parle. S’agit-il d’une somme versée à chacun quel que soit son niveau de revenu, du jeune exclu du monde du travail au milliardaire Bernard Arnault ? Et dans ce cas, quel montant : 500, 800, 1 000 euros ? Le versement doit-il au contraire être lié à un niveau de revenu ? Ou bien s’agit-il, version (défendue chez certains libéraux), d’une somme ayant vocation à remplacer tous les dispositifs de protection sociale ?
«Il y a presque autant de revenus universels que de personnes qui le portent», raille le député de La France insoumise Adrien Quatennens. Il se méfie d’une mesure qui change de nom en fonction des camps : «revenu de base» pour les socialistes, «revenu universel vital» pour Aurélien Pradié (LR) ou «socle citoyen» pour la députée Valérie Petit (Agir). Quant à Marine Le Pen, la présidente du RN, elle dit réfléchir «à un dispositif plus juste que le revenu universel, et surtout plus accepté». Position très vague mais qui illustre à quel point la réflexion irrigue tous les bords de l’échiquier politique.
Un débat clivant, même à gauche
C’est cependant au PS que l’idée est la plus avancée. En 2017, Hamon avait dû, sous la pression de son parti, revoir à la baisse ses ambitions «universelles». Depuis, un certain nombre de départements PS ont repris son bâton de pèlerin. Le 18 février, leurs camarades députés comptent porter le sujet à l’Assemblée, à la faveur de la niche parlementaire de leur groupe. Sans être sur l’«universalité» version Hamon, ils proposent un revenu minimum de 564 euros (hors APL) pour une personne seule et sans ressources. Une formule proche de l’actuel RSA, mais ouverte à partir de 18 ans et qui pourrait être fusionnée avec la prime d’activité. Elle deviendrait dégressive en fonction des revenus, jusqu’à disparaître à partir de 1 707 euros net. «L’aide est inconditionnelle, c’est-à-dire qu’on ne la conditionne pas à une recherche d’emploi, mais elle reste soumise à un critère de ressources, prévient le député PS de l’Ardèche Hervé Saulignac. Un jeune encore rattaché au foyer fiscal de ses parents serait également soumis à un critère de ressources.» Il ne s’agirait pas d’argent de poche mais de la conquête d’un nouveau droit pour les jeunes : «18 ans, c’est la majorité politique, la majorité pénale, mais il n’y a que sur le plan social qu’on est majeur à 25 ans», s’indigne le socialiste Boris Vallaud.
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Mais même à gauche, la bataille est loin d’être gagnée. Si Jean-Luc Mélenchon s’est dit prêt à discuter de la proposition, ses lieutenants, eux, égrènent leurs réserves. «Cela risque d’encourager les employeurs à embaucher moins, le travail des femmes risque d’être le premier touché et, surtout, cette mesure contourne la relation capital-travail : le revenu serait financé par l’impôt alors que nous pensons que c’est à l’employeur de prendre en charge les salaires», pilonne Adrien Quatennens.
Une position partagée par certains syndicats, comme FO et la CGT. «L’idée du revenu universel, c’est qu’il n’y aurait pas du travail pour tout le monde, comme une espèce de fatalité, et qu’il faudrait donc un revenu pour s’exclure du travail à vie, argumente le secrétaire fédéral chargé des salaires à la CGT, Boris Plazzi. C’est un renoncement très grave», dit-il, rappelant les positions du syndicat sur la baisse du temps de travail (avancement de l’âge de départ à la retraite, semaine de trente-deux heures) et la hausse immédiate des minima sociaux existants. La CFDT, elle, continue de réfléchir sur le sujet. A leur congrès de 2018, ses adhérents avaient rejeté à 67 % un amendement défendant le principe du revenu universel. «Ce qui nous paraissait problématique, c’est que mettre en place cet outil pouvait conduire à deux conceptions très différentes : soit un monde extrêmement libéral, soit extrêmement protecteur», explique Jocelyne Cabanal, secrétaire nationale chargée de la protection sociale.
15 milliards d’euros : l’exécutif frileux
L’exécutif, lui, balaie tout ce qui ressemble à l’idée d’une allocation perçue sans condition de recherche (active) d’emploi. Le revenu universel ? «Une connerie, une vraie trappe à pauvreté», assène un ministre, qui dit préférer «un système d’aides ponctuelles, même massives». Le délégué général de LREM, Stanislas Guerini, rappelle aussi le «coût» d’un «revenu de base» dans sa version socialiste : «15 milliards d’euros». «Il faut assumer d’augmenter ensuite les impôts ou de revenir sur la suppression de la taxe d’habitation», fait valoir le député de Paris qui, lui, défend l’idée d’un «capital jeune» : un prêt à taux zéro de 10 000 euros remboursable seulement si l’on atteint un certain niveau de revenus. «Le débat n’est pas de réfléchir à un revenu universel mais de mettre le paquet dans la formation, l’accès au travail… Ce sont les seules solutions à apporter pour lutter contre les effets de la crise», martèle de son côté le président du groupe LREM à l’Assemblée, Christophe Castaner. La ministre du Travail, Elisabeth Borne, ne manque jamais une occasion de vanter l’ensemble des dispositifs existants, comme la garantie jeunes. Un dispositif créé sous François Hollande et censé aider les plus éloignés du travail à retrouver un boulot et une formation. Elisabeth Borne proposait récemment dans Libération son «universalisation». En réalité un simple «élargissement» à 200 000 personnes. «Au total, il y aura en 2021 quasiment 1 million de solutions pour accompagner les jeunes avec une rémunération jusqu’à 500 euros par mois quand c’est nécessaire», disait-elle. «Universel» en macronie ne signifie donc pas «pour tout le monde» mais «pour chaque jeune qui en a besoin», confirme Stanislas Guerini. Nuance.
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Si le gouvernement se montre si frileux, c’est aussi qu’il a déjà son propre dispositif dans les cartons : un «revenu universel d’activité» (RUA), présenté par Emmanuel Macron en septembre 2018 dans le cadre d’un «plan pauvreté». Une proposition loin d’emballer les acteurs sociaux, puisqu’il s’agirait d’une refonte des minima sociaux avec, notamment, la fusion du RSA et des aides au logement. Le tout avec un certain nombre de conditions pour les bénéficiaires. Le chef de l’Etat avait, par exemple, expliqué que les bénéficiaires de cette aide ne pourraient refuser «plus de deux offres d’emploi raisonnables», sous peine de perdre leurs droits.
Où en est le projet, dont une quinzaine de députés de la majorité, marqués à l’aile gauche, ont demandé à Jean Castex une relance urgente ? Une «consultation» a été lancée en 2019, mais depuis février 2020 et la crise sanitaire, «plus de son, plus d’image», fait remarquer Jocelyne Cabanal, de la CFDT. Au ministère des Solidarités et de la Santé, on assure que les travaux doivent être finalisés «au cours de l’année 2021». Un rapport public est annoncé pour le deuxième semestre, soit à quelques mois de la présidentielle. Ce qui était encore annoncé, il y a deux ans, comme un «marqueur social» ne verra donc pas le jour sous ce quinquennat.