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Libération
Reportage

Salaires : à Herblay, les salariés de Truffaut en grève pour la première fois de l’histoire de l’enseigne

Dans le Val-d’Oise et près de Nantes, des piquets de grève ont été installés devant des magasins du leader de la jardinerie. Ils fustigent la stagnation de leurs fiches de paie et le manque de personnel.
Des salariés de Truffaut en grève pour leurs salaires, à Herblay, le 14 février. (Albert Facelly/Libération)
publié le 14 février 2023 à 20h44

On s’est pointé ce mardi au Truffaut d’Herblay (Val-d’Oise). A l’intérieur de ses immenses halles, des arbres fruitiers encore nus, un couple demande conseil à un vendeur pour choisir un palmier, un homme hésite entre des orchidées violettes ou blanches «pour la Saint-Valentin»… L’enseigne située dans l’immense et tristounette zone commerciale de la Patte-d’oie a fait le plein de clients. Avant de reprendre leur bagnole, ces derniers ont pu jeter un œil aux dizaines de salariés de la jardinerie renforcés par des militants CGT du coin postés à l’entrée du parking. Truffaut vit la première grève nationale de son histoire.

Les élus n’ont pas choisi cet établissement par hasard. C’est le premier du groupe en termes de chiffres d’affaires selon Anthony Blin, délégué syndical central CGT. L’élu explique aussi que c’est l’un des premiers endroits où une dizaine de salariés ont dit vouloir faire grève pour des augmentations de salaire. Alors il a débarqué de son magasin de Cabriès, près de Marseille, pour installer le piquet de grève dans cette banlieue nord-ouest de Paris. Des militants de son syndicat se sont occupés du ballon siglé CGT 95, des tables et des merguez. A Orvault, près de Nantes, 17 des 22 salariés étaient également en grève selon Ouest France. A Herblay, où des travailleurs grévistes du magasin de Saint-Denis sont venus en renfort, la mobilisation est également satisfaisante au regard de la difficulté de débrayer dans le secteur de la vente.

Anthony Blin égrène les revendications : création d’un treizième mois, primes d’ancienneté, remboursement plus important pour la mutuelle et les transports… Après des années où Truffaut a profité de la sortie du premier confinement et du besoin de chlorophylle des Français, les salariés ne supportent plus leur stagnation salariale. L’inflation a joué son rôle : ce qui était agaçant au regard de la bonne santé de leur boîte devient insupportable lorsqu’explosent les prix de l’essence et de l’alimentation.

«Pourquoi on est là ? Pourquoi on se lève ?»

Une question de justice sociale mais aussi d’attractivité, car les salariés assurent que le manque de main-d’œuvre pèse sur leur travail au quotidien, sur les cadences, le manque de temps pour pouvoir répondre aux clients et bien les conseiller. Et accentue le turn-over. «Le problème, c’est qu’on a des habitués qui le voient direct quand un vendeur n’est pas un spécialiste du sujet et qu’il conseille mal. Et dans les évaluations sur Internet, il se fait démonter», résume un salarié d’Herblay.

Pour convaincre les salariés de rester et en séduire d’autres, la CGT Truffaut réclame donc de ne bosser qu’un week-end sur deux. Un employé du magasin de Saint-Denis, qui préfère rester anonyme, dit travailler deux dimanches sur quatre et trois samedis par mois. On lui demande l’impact qu’a ce rythme sur sa vie perso. Il rigole : «Mauvais ! Je suis en train de me séparer.» Il explique : «On devient aigri, nos conjoints subissent ça mais aussi notre rythme. Et notre couple se casse.» Selon lui, il n’est pas isolé dans ce cas. «A un moment, on ne voit plus pourquoi on ferait ces sacrifices, questionne-t-il. Pourquoi on est là ? Pourquoi on se lève ? Où est-ce que j’emmène mes enfants ?» On lui demande combien il touche. «Entre 1 350 et 1 400 euros par mois, en fonction du nombre de jours fériés travaillés.» Il a une dizaine d’années d’ancienneté, et n’a gagné qu’à peine 200 euros en plus sur sa fiche de paie depuis son embauche.

Lui comme tous les salariés rencontrés ce mardi le jurent pourtant : ils aiment leur métier, s’occuper de leurs produits, en parler avec leurs clients. Mais leur dévouement ne semble ne plus suffire à faire tourner la machine. «Pendant des années, par passion, les salariés mettaient de côté les problèmes et les salaires trop bas. Cela commence à changer», nous glisse un autre, qui espère que cette journée en motivera d’autres à participer à un deuxième round de grève.

Jeux d’extérieur et drapeaux CGT

A 14 heures, les quelques dizaines de salariés et militants présents se mettent en arc de cercle, écoutent Anthony Blin lire un communiqué, puis les quelques prises de parole d’élus CGT du coin. Derrière les orateurs, des drapeaux de leur syndicat accrochés aux grilles, devant des jeux d’extérieur pour enfants. A une quinzaine de mètres en retrait, trois membres de la direction observent les grévistes en silence, refusant de prendre le micro que leur tend un militant. L’un d’entre eux, le directeur régional de l’enseigne, refuse de nous répondre.

Une salariée prend le micro. Elle est venue en covoiturage de Rennes, à quelque 400 km de là. «J’aimerais que mon salaire me permette de partir en week-end, de partir en vacances. De faire mes courses sans ma calculette à la main. Je ne suis pas du tout reconnue à ma juste valeur.» Elle rit comme par réflexe ou par pudeur avant de concéder : «J’ai envie de pleurer.» Des applaudissements, une promesse de nouvelles actions. Anthony Blin sourit. Il annoncera bientôt la deuxième journée de grève de l’histoire de Truffaut, dans un autre magasin en France.