L’anniversaire de la crise sanitaire et économique est aussi celui d’une révélation : celle qui a frappé Emmanuel Macron lorsqu’il a salué, dans une allocution télévisée, le travail des salariés dits «de la deuxième ligne» – soit l’armée des caissières, éboueurs, manutentionnaires et autres ouvriers du BTP dont le salaire excède rarement le Smic alors même qu’ils remplissent des tâches essentielles, et qui ont continué de turbiner «quoi qu’il en coûte». Un an donc que ces personnes attendent une revalorisation de leur rémunération à la hauteur de leur utilité sociale. Et voilà la grande nouvelle du jour, à l’issue d’un nouveau «sommet social» organisé par Matignon, ce lundi : elles vont pouvoir attendre encore. A l’issue de la réunion, le Premier ministre, Jean Castex, a en effet confirmé ce qui avait été habilement distillé au cours des derniers jours : le retour d’une «prime Macron» ouverte à tous les salariés, soit une somme versée à la discrétion de l’employeur, entièrement défiscalisée dans la limite de 1 000 euros. Le dispositif avait été lancé en 2019 en réponse au mouvement des gilets jaunes, et reconduit en 2020 pour, déjà, apporter une compensation financière minimale après l’effort de nombreux salariés pendant le premier confinement. L’année dernière, plus de 5 millions de travailleurs en auraient bénéficié, et auraient touché en moyenne 458 euros. La belle affaire.
Cette fois, une astuce vient s’ajouter : les patrons pourront verser jusqu’à 1 000 euros de plus si leur entreprise ou leur branche a conclu un accord d’intéressement d’ici la fin de l’année, ou si leur branche a ouvert une négociation sur la valorisation des «secondes lignes», a précisé Jean Castex. Face à cette carotte fiscale, Geoffroy Roux de Bézieux montrait bizarrement, ce lundi matin, peu d’appétit : sur France Info, le président du Medef a dit craindre du ressentiment chez les salariés qui n’en profiteraient pas. «Ça va être difficile», a-t-il aussi prévenu s’agissant de la capacité des entreprises à verser ces sommes. Bref, dans les faits, la prime demeure hypothétique à ce stade. Quant aux organisations syndicales, si certaines saluent le déblocage de cette aide d’urgence, elles en attendent évidemment plus : pour ne citer que lui, le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, insistait encore ce lundi matin, sur RMC, sur la nécessité d’une «augmentation immédiate des salaires».
D’autres priorités
Sur ce dossier, c’est peu dire que l’exécutif ne se laisse vraiment pas gagner par l’urgence. Fin 2020, six mois après les beaux mots du chef de l’Etat, le ministère du Travail a fait le choix de renvoyer l’avenir de ces travailleurs à des négociations dans les branches concernées, tout en se contentant d’une augmentation automatique du Smic (+0,99 %, soit quinze euros par mois). Une position qu’il maintient aujourd’hui, quatre jours après les conclusions édifiantes de la mission qu’il a lancée l’automne dernier pour «objectiver» leur nombre et leur situation. Il en ressortait que, soumis bien plus que les autres à des conditions de travail pénibles (temps partiel contraint, horaires de nuit, risques physiques…), ces quelque 4,6 millions de salariés perçoivent une rémunération moyenne de 12 000 euros par an, et ne peuvent donc compter que sur des dispositifs publics pour se maintenir au-dessus du seuil de pauvreté.
Face à une telle urgence sociale, le gouvernement semble avoir d’autres priorités, comme rassurer les ménages les plus aisés sur le fait qu’il ne leur sera demandé aucun effort fiscal supplémentaire pour contribuer au redressement du pays après la crise. Et songe plutôt à réduire la fiscalité sur les dons entre générations. Ces dernières semaines, il était visiblement plus pressant d’imposer pour de bon une version un peu reboutiquée de la réforme de l’assurance-chômage, qui va frapper de plein fouet des centaines de milliers de travailleurs précaires. Un sacrifice que le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, justifiait encore récemment en expliquant qu’il s’agissait d’une des «réformes de structure» qui permettraient de rembourser la dette liée au Covid-19, bien qu’on ne parle là que de deux milliards d’euros d’économies là où l’ardoise de la pandémie se chiffre en dizaines de milliards d’euros. Les smicards ou quasi-smicards, eux, pourront bien attendre quelques mois de plus.