Pour sa rentrée syndicale, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, a choisi Valdunes, le dernier fabricant français de roues et d’essieux pour trains, qui cherche d’un repreneur depuis plusieurs mois après avoir été lâché par son actionnaire chinois. Un symbole de «la financiarisation de l’industrie», dit-elle devant les ouvriers rassemblés autours de feux de palettes et d’un barbecue revendicatif, à Trith-Saint-Léger, près de Valenciennes (Nord), où se trouve l’un des deux sites de la société. C’est là où sont usinées les pièces fabriquées à la forge de Leffrinckoucke, dans le Dunkerquois.
L’unique actionnaire de Valdunes, Ma Steel, avait brutalement annoncé son désengagement en mai dernier. Menacés de perdre leur emploi à court terme, les 345 salariés n’ont obtenu un sursis qu’après une grève et l’intervention de l’Etat en juin, qui s’est engagé à maintenir la trésorerie et à permettre la poursuite de l’activité jusqu’en décembre, le temps pour le tribunal de commerce de Lille de trouver un repreneur et d’organiser la reprise de l’entreprise. Dans cette course contre la montre, la première date butoir tombe la semaine prochaine : les marques d’intérêt doivent être déposées au tribunal le 8 septembre au plus tard.
«En France, on laisse tout faire»
La CGT a donc choisi de mettre un coup de pression dès ce vendredi en lançant une grève illimitée des salariés. C’est ce mouvement qu’est donc venue soutenir Sophie Binet. Sur le piquet, on serre les rangs pour l’écouter. On chuchote : «C’est elle ?». Les militants CGT sont venus de tout le département pour écouter leur médiatique secrétaire générale. Les ouvriers de Valdunes, pas forcément syndiqués, sont plus en retrait. «On est totalement dans le flou sur l’avenir», confie l’un d’eux, qui espère obtenir quelques informations. Sophie Binet, elle, accuse d’emblée Ma Steel d’avoir pillé le savoir-faire français : «Ils sont arrivés, ils ne savaient faire que des roues pour le fret. Maintenant, ils savent faire du TGV et des pièces de précision.» Dans les rangs ouvriers, le discours touche une corde sensible. Pascal, 27 ans d’ancienneté, constate : «Quand Ma Steel nous a rachetés, ils n’étaient pas homologués pour le TGV. Mais en France, on laisse tout faire.»
Sophie Binet pointe aussi la responsabilité du gouvernement. «Le carnet de commandes de Valdunes, c’est simple, c’est la SNCF, la RATP, Alstom. Mais la SNCF commande deux tiers de ses roues et de ses essieux aux concurrents étrangers de Valdunes. Il y a un problème de cohérence : l’entreprise publique n’est pas là pour soutenir le fleuron industriel qu’on a ici.» Alors la CGT propose un projet alternatif : la constitution d’un consortium avec la SNCF et Alstom, le grand fabriquant français de trains, de trams et de métro, qui a racheté le canadien Bombardier. Depuis, Alstom possède deux usines dans le Nord, à Petite-Forêt et Crespin, deux sites proches de Valenciennes. Du travail, donc, pour les fabricants d’essieux de Leffrinckoucke et Trith-Saint-Léger. «Valdunes deviendrait une filiale d’Alstom au lieu d’être son sous-traitant», expose Maxime Savaux, secrétaire CGT du comité social et économique de Valdunes. Son inquiétude est que le propriétaire chinois choisisse une offre qui sacrifie l’un des deux sites. «On ne laissera pas vendre Valdunes à la découpe», prévient d’ailleurs Sophie Binet.
Trois visites de repreneurs potentiels
Mais les démissions sont déjà nombreuses, surtout du côté dunkerquois, secteur en tension sur l’emploi. «On était dans les 125 au début de l’année, on est maintenant 90», témoigne Steve, 43 ans, entré à l’âge de 20 ans à Valdunes. Les usines voisines recrutent les compétences. «Le problème, c’est que c’est en train de tuer l’entreprise. Un acheteur devra à la fois investir dans l’outil et dans l’humain», constate-t-il.
Signe d’inquiétude, la trésorerie pourrait présenter un déficit de 200 000 euros en octobre, explique la CGT, ce qui voudrait dire un dépôt de bilan. «Le mois d’octobre est identifié à risque», confirme le directeur général adjoint de Valdunes, François Demilly. «Mais on travaille sur des solutions». Il fait état de dix à quinze marques d’intérêt, avec trois visites : l’Italien Lucchini, le Tchèque GHH-Bonatrans, et l’Ukrainien KLW Wheelco, tous fabricants de roues. «Nous avons trois profils : des concurrents ; des sociétés financières qui cherchent à créer un groupe ferroviaire ; des opérateurs ferroviaires qui regardent s’il est intéressant d’intégrer cette production dans leur exploitation», détaille François Demilly. Bercy surveille de près le dossier, mais pour l’heure, la SNCF et Alstom ne se sont pas mouillées pour une solution de reprise franco-française.