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Causes toujours

Sophie Binet rencontre Ken Loach : «Un film comme ça vaut 100 000 tracts»

A Montreuil, lundi 2 octobre au soir, après la projection de son dernier long métrage «The Old Oak», le cinéaste britannique a échangé pendant une petite heure avec la secrétaire générale de la CGT.
Le cinéaste Ken Loach et la syndicaliste Sophie Binet. (Alessandro Levati.Getty Images et /Bertrand Guay.AFP)
publié le 3 octobre 2023 à 11h58

Out Ken et Barbie, in Ken et Sophie. Le cinéaste anglais Ken Loach et la numéro 1 de la CGT, Sophie Binet se sont retrouvés lundi 2 octobre au Méliès, le multiplex public de Montreuil (Seine-Saint-Denis), le temps de ce qui était présenté comme un «débat». Dans la file qui se bouscule, on s’interroge : va-t-on pouvoir trouver des divergences de vues entre ces deux-là ?

Dans l’ensemble de son œuvre, le cinéaste britannique de 87 ans n’a eu de cesse d’attaquer – plus ou moins subtilement – les ravages du capitalisme. A travers ses deux derniers longs métrages, il a abordé la marchandisation et à la privatisation des services publics (Moi, Daniel Blake, palmé d’or à Cannes en 2016) et l’ubérisation (Sorry We Missed You, 2019). Dans The Old Oak (sortie le 25 octobre), projeté lundi soir, c’est un doublon crise migratoire et désindustrialisation dont il est question. Rien qui ne risque a priori d’opposer frontalement l’octogénaire à Sophie Binet, 41 ans, néosecrétaire générale d’une CGT ragaillardie depuis son élection à sa tête, en mars.

Dans une salle comble et surchauffée par l’absence de climatisation, les deux arrivent sous les applaudissements. Ken Loach a donné ses instructions : l’échange se fera debout, c’est plus dynamique. Lui, chemise bleue, veste grise, et sourire indélébile, est accompagné de son scénariste de toujours, Paul Laverty. Elle, haut orange et jupe fleurie, est venue avec Cheikh Camara, ancien meneur d’une grève de travailleurs sans papiers.

«Profits, avarice et individualisme»

Rapidement, on comprend que le débat annoncé n’aura pas lieu. Chacun est dans son couloir et, surtout, les deux sont d’accord sur tout. Les deux invités répondent aux questions de Stéphane Goudet, le directeur artistique du Méliès. Ken Loach est «honoré» de discuter avec un syndicat de travailleurs. Pour lui, la grande grève des mineurs anglais de 1984-1985, mené par le plus grand syndicat ouvrier d’Europe à l’époque, est «le moment charnière de [l’histoire anglaise] d’après-guerre». Car c’est au moment où «Margaret Thatcher a vaincu les mineurs que le néolibéralisme [d’aujourd’hui] a pu commencer» : «Un monde de profits, d’avarice et d’individualisme», porte ouverte à «l’économie ubérisée». Rumeur d’approbation dans le public.

A ses côtés, Sophie Binet opine de la tête. En excellente communicante, elle prend des notes sur son téléphone pour rebondir point par point. Débit mitraillette, elle parle trop vite pour l’interprète de Loach. Elle loue les films du vieux maître comme des «grands moments de cinéma» et des «leçons de lutte». The Old Oak, qui raconte l’arrivée de réfugiés syriens dans une ville sinistrée du nord-est de l’Angleterre, «met encore le doigt sur la question centrale d’aujourd’hui, à savoir comment le néolibéralisme organise la montée de l’extrême droite» avec la mise en concurrence de travailleurs pauvres et la recherche de «boucs émissaires» encore plus faibles. «Un film comme ça vaut 100 000 tracts», salue-t-elle après avoir chargé Emmanuel Macron, et sa «stratégie délibérée» pour faire monter l’extrême droite française en la «banalisant dans le débat public» et en la renvoyant systématiquement à «une prétendue extrême gauche».

Sourires et acquiescements : sans surprise, Ken Loach approuve. Après quelques questions prises dans le public sur la façon dont il a tourné The Old Oak, le cinéaste appelle la salle au sursaut malgré la crise climatique, malgré l’incurie des dirigeants politiques, malgré la montée du racisme un peu partout dans le monde. «L’espoir est politique. On peut gagner», lance-t-il. Après toutes ces années, son poing est toujours levé.