A en croire une partie de la macronie et des médias, le Rassemblement national et le Nouveau Front populaire auraient deux programmes économiques et sociaux terriblement proches. «Marxistes», ose même le ministre de l’Economie Bruno Le Maire, une affirmation reprise sans hésitation lundi 24 juin sur BFM Business par la journaliste Hedwige Chevrillon. Et cette dernière de citer le smic, laissant accroire que le parti de Marine Le Pen défendrait une hausse du salaire minimum au même titre que les partis de gauche, qui veulent le relever à 1600 euros.
Or, l’aspirant Premier ministre Jordan Bardella a été clair lundi matin, durant la conférence de presse de présentation du programme frontiste, sur le fait qu’il excluait cette option. Et ce, au nom de très traditionnels arguments pro-patronaux : «La hausse du smic telle que voulut par la Nupes 2.0 plongerait dans la difficulté des milliers d’entreprises petites et moyennes», a-t-il affirmé, comme un écho aux «500 000 emplois» que cette revalorisation détruirait selon le locataire de Matignon sortant Gabriel Attal.
Le RN et ses «classes moyennes» à 5200 euros brut par mois
D’accord pour critiquer cette mesure de gauche, le RN et Ensemble pour la République, la coalition des partis macronistes, le sont aussi sur la nature de leurs solutions pour augmenter les salaires. Au RN, on ressort une proposition qui était déjà au cœur de la campagne présidentielle de 2022, et qui consiste à permettre aux entreprises de conclure un accord collectif prévoyant une hausse des salaires jusqu’à +10 %, en échange d’une exonération de cotisations sur cette hausse pendant cinq ans. Les salariés concernés seraient ceux touchant jusqu’à trois smic, «pour que ça concerne aussi bien les salariés au smic que les classes moyennes», faisait valoir le député sortant de la Somme Jean-Philippe Tanguy, sur BFMTV le 17 juin, visiblement pas gêné à l’idée d’inclure une personne touchant plus de 5200 euros brut par mois (soit plus que 90 % des actifs) dans les «classes moyennes».
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Chez Ensemble, les choses ne sont pas présentées de la même manière, mais elles reviennent un peu au même. La principale annonce d’Emmanuel Macron et de Gabriel Attal concernant les rémunérations est en effet un triplement du plafond de la «prime de partage de la valeur», anciennement connue sous le nom de «prime Macron», qui pourra atteindre 10 000 euros par an «sans charge ni impôt», dixit leur programme. En bonus, l’employeur pourra désormais mensualiser le versement de la prime. Dans l’hypothèse maximaliste (10 000 euros), cela représenterait 830 euros par mois.
Pour bien se rendre compte des proportions dont on parle, il s’agirait en gros d’une augmentation de près de 50 % pour un salarié au smic, et de plus de 16 % pour un salarié touchant trois fois le smic. Tout cela est évidemment virtuel, puisque la moyenne des primes versées est généralement très en deçà du maximum autorisé : 506 euros en 2021, quand le plafond était de 1 000 euros ; 885 euros en 2023, pour un plafond de 3 000 euros, selon l’Urssaf. Avec le think tank libéral Institut Montaigne, l’équipe de campagne de la majorité sortante a fait l’hypothèse que la prime versée avec le nouveau plafond serait de 500 euros supérieure à la version 2023, soit près de 1 400 euros.
Vœu pieux et effets pervers
Avec la mensualisation, la proposition d’Ensemble tend à se rapprocher significativement de celle du RN. En effet, il était inscrit dans les principes de la «prime Macron» que cette dernière ne devait pas se substituer à des augmentations de salaires. Un vœu pieux, comme le soulignait l’Insee dès 2020, en relevant que «les salaires (hors prime exceptionnelle) ont plus faiblement progressé entre le premier trimestre 2018 et le premier trimestre 2019 dans les établissements ayant versé la prime que dans les autres». L’organisme public y décelait «un effet d’aubaine : […] des établissements auraient sans doute versé, sous une forme différente, au moins une partie du montant de cette prime en l’absence de cette mesure».
En versant la prime chaque mois, donc en donnant l’impression au salarié qu’elle est désormais partie intégrante de sa rémunération, l’effet de substitution risque d’être décuplé. Tout comme le seraient les effets pervers de la mesure pour les comptes publics, puisque cela aggraverait mécaniquement le manque à gagner pour le système de protection sociale (retraites, assurance maladie, assurance chômage) qu’induisent déjà des dispositifs de ce genre.
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Ainsi, l’Institut Montaigne estime qu’avec son nouveau plafond, la «prime Macron» pourrait priver les finances publiques, dans une hypothèse maximaliste, de six milliards d’euros par an – plus vraisemblablement de deux milliards d’euros par an. Quant à la mesure du RN, elle pourrait représenter un manque à gagner de 800 millions d’euros en 2025 puis de 12 milliards d’euros en 2029, puisque les entreprises y recourant s’additionneraient à chaque fois pour une durée de cinq ans. Du carburant pour justifier, dans les prochaines années, de nouveaux reculs sociaux, que ce soit pour l’ensemble de la population ou pour les seuls étrangers, contre lesquels le parti frontiste construit l’intégralité de son programme.