Elle l’avait défendue bec et ongles depuis 2023 et son passage au forceps via le 49.3. Mais, face à l’ampleur de la crise politique, Elisabeth Borne n’a pas hésité, mardi 7 octobre à revenir sur son cheval de bataille et la mesure la plus emblématique du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Dans une interview au Parisien, elle a ouvert la porte à une «suspension» de la réforme des retraites. «Je pense qu’on ne doit pas faire de cette réforme des retraites un totem», lâche-t-elle. Une suspension qui avait, jusqu’à présent été écartée par le Premier ministre démissionnaire Sébastien Lecornu lors de ces précédentes réunions avec les partenaires sociaux. Et qui démontre que l’exécutif tente le tout pour le tout. «Cette réaction montre que nous avons eu raison de mener ce combat, et une preuve que tout ce discours catastrophiste n’avait pas lieu d’être», se félicite Denis Gravouil, secrétaire confédéral de la CGT, à l’unisson de l’ensemble des représentants syndicaux. Qui tous gardent un souvenir encore vif des quatorze journées de mobilisations contre la réforme.
En parallèle de cette annonce, le locataire de Matignon s’engageait dans le dernier round de négociations avec les partis politiques pour rendre compte à Emmanuel Macron de ses «plateformes d’actions» et parvenir à une «stabilité du pays». Mais ce mercredi 7 octobre, lors de sa courte allocution, il n’a pas dit un mot sur les retraites, sujet sur lequel il était pourtant particulièrement attendu. Préférant mettre en avant la «volonté» de plusieurs forces politiques d’avoir un budget avant le 31 décembre, «une convergence évidemment qui éloigne les perspectives de dissolution», espère-t-il.
Une impasse qui n’est pas forcément de nature à rassurer les syndicats. Alors que la droite tire à boulets rouges contre cette éventualité, le PS, reçu ce mercredi à Matignon, ne fait pas preuve d’un grand optimisme. «Au moment où nous parlons, nous n’avons aucune assurance sur la réalité de cette suspension», a déclaré Olivier Faure à l’issue de cette rencontre.
«La voie de passage pour le budget»
Les syndicats, eux, sont dans l’attente. La CGT, pour qui la suspension n’irait pas assez loin, réclame toujours l’abrogation de la réforme. «Cela ne coûterait que 3,4 milliards d’euros en 2025 sur les 400 milliards d’euros versés chaque année pour les pensions, assure Denis Gravouil, de la CGT. Ça se trouve facilement, notamment en augmentant les salaires plutôt que de miser sur les primes (sur le modèle de la prime Macron) qui ne récoltent pas de cotisations.» Et de préciser : «Avec une suspension, on perd déjà un an en s’arrêtant à l’âge de départ à 63 ans, contre 62 auparavant», détaille le syndicaliste.
Quant aux «pistes d’amélioration qui ont été portées par les organisations syndicales, notamment sur la pénibilité et la situation des femmes» décrites comme une priorité par l’ex-locataire de Matignon, la CGT n’y voit que les «miettes» laissées par le «conclave» des retraites. La CFDT, qui avait porté l’idée d’une suspension de la réforme auprès de Sébastien Lecornu lors de son bref passage à Matignon, voit dans cette déclaration un «signal positif». «Ça prouve que la question des retraites, c’est la voie de passage pour obtenir un budget cette année», estime Yvan Ricordeau, secrétaire national CFDT. «Aujourd’hui, la non-suspension de la réforme revient à l’absence de budget, qui plongerait dans un flou économique et serait une mauvaise nouvelle pour tout le monde», ajoute celui qui espère voir le compteur de l’âge de recul stoppé.
Silence radio au Medef, l’U2P prête à « concéder »
«La réforme des retraites est restée le caillou dans la chaussure du gouvernement, cette victoire va donner confiance aux salariés pour arracher l’abrogation», analyse de son côté Murielle Guilbert, co-déléguée générale à l’Union syndicale Solidaires. L’intersyndicale pourrait se réunir jeudi 9 octobre au matin, pour faire le point sur la méthode à adopter face à l’instabilité politique. Pour l’ensemble des partenaires sociaux contactés par Libération, sans dissolution, les revendications construites lors de l’ultimatum posé à Sébastien Lecornu, devraient rester inchangées. Pas question en revanche de choisir une nouvelle date de mobilisation, la priorité étant de «préserver la force militante déjà fatiguée», déclare Denis Gravouil, rappelant qu’une baisse d’affluence a été observée lors de la journée de grève du 2 octobre.
Si du côté du Mouvement des entreprises de France (Medef), qui semble abasourdi par l’annonce de la possible suspension de la réforme des retraites, c’est silence radio, l’Union des entreprises de proximité (U2P) dit voir un avantage à cette «suspension». «Si une forme de stabilité et un budget pour la France passe par là, alors concédons», commente son président, Michel Picon, dans la lignée de ses précédentes déclarations. Pour le représentant des professions libérales, des artisans et des commerçants, l’abrogation de la réforme reste en revanche une ligne rouge à ne pas franchir. «Une abrogation brutale et définitive aurait des conséquences sur l’aggravation du déficit de nos régimes et sur le financement de notre dette», assure Michel Picon, selon qui le pays serait alors considéré comme «irresponsable», par les créanciers.
Deux jours plus tôt, les chefs d’entreprise du Medef se disaient, «sidérés» par la démission de l’éphémère Premier ministre, ont suspendu leur «grand rassemblement» prévu lundi 13 octobre. Avec la pièce d’Elisabeth Borne remise dans la machine des retraites, pas impossible que le rendez-vous soit remis à l’agenda.
Mise à jour : 18h27, avec la réaction de l’U2P.