«Quand l’Etat punit au lieu d’accompagner, nous saisissons la justice», annonce Didier Duriez, le président du Secours catholique. Ce «nous», c’est une alliance formée par onze associations et cinq syndicats qui, faute d’être entendus, se sont résolus à demander au Conseil d’Etat l’abrogation du décret dit de «suspension-remobilisation» en vigueur depuis le 1er juin. Ce texte, application de la loi «plein-emploi», instaure un nouveau régime de sanctions à l’encontre des allocataires du RSA et de ceux de l’assurance chômage. Le versement de tout ou partie de l’allocation peut être suspendu (de 30 % à 100 %) dès le premier «manquement» aux termes du contrat d’engagement, et, en cas de «manquements répétés», la radiation peut être décidée. Ces règles, ont répété à tour de rôle les gouvernements depuis plus deux ans, viendraient en contrepartie d’un meilleur accompagnement et faciliteraient l’insertion des plus précaires.
Un discours aux antipodes de celui des responsables de ces seize organisations, réunis pour une conférence de presse ce mercredi 22 octobre. De leurs propos, émanent la même indignation et le même appel à une prise de conscience des pouvoirs publics. «Nous parlons d’une seule voix car c’est un moment inédit dans notre société, la pauvreté augmente de manière mesurable, c’est une première depuis très longtemps», poursuit Didier Duriez, référence aux dernières statistiques de l’Insee, selon lesquelles le taux de pauvreté a atteint 15,4 % de la population en 2023 – le taux le plus élevé depuis trois décennies. L’alliance souligne que le montant du RSA (646 euros pour une personne seule) est deux fois inférieur à celui du seuil de pauvreté, et même sous le seuil d’extrême pauvreté. «Le réduire à titre de sanction revient à supprimer les moyens de subsistance», cinglent les organisations mobilisées.
Des sanctions disproportionnées
Pour tous, plutôt la solidarité que la sanction. Marie-Andrée Bresson, présidente de Solidarité Paysans, partage «cette exigence commune d’un sursaut collectif sur la question de la solidarité.» Isabelle Doresse, la vice-présidente d’ATD Quart Monde, rappelle, elle, «aux pouvoirs publics leur devoir de protéger chacun» et fustige «l’ajout de nouvelles sanctions [qui] conduit à accentuer le non-recours [déjà à plus de 30 % pour le RSA, ndlr] et à exclure de plus en plus de personnes de notre système social». Lydie Nicol, secrétaire nationale confédérale de la CFDT, dénonce un «changement majeur de paradigme, le RSA n’étant plus un minimum social garanti». Elle complète : «Ce n’est pas en diminuant les droits qui répondent à des besoins vitaux que l’on va permettre à ces personnes de retrouver le chemin de l’emploi.»
Leur colère s’est muée en quatre recours déposés en juillet au Conseil d’Etat par la CGT et des associations, par l’Unsa, par la CFDT et par la Ligue des droits de l’homme – dont le résultat est attendu dans plusieurs mois. Pour étayer cette demande d’abrogation, une douzaine d’arguments juridiques sont mis en avant, à commencer par la disproportion manifeste des sanctions. Les organisations syndicales et associatives interprètent aussi ce décret comme une atteinte au principe d’égalité et à la sécurité juridique, avec des sanctions appliquées de manière disparate selon les territoires. La violation des droits de la défense est aussi pointée, avec un délai de recours de dix jours considéré comme insuffisant et avec la méconnaissance du droit au silence et du droit d’être entendu. Elles critiquent aussi l’atteinte au droit et à des moyens convenables d’existence, garantis par la Constitution.
A LIRE AUSSI
Ce n’est pas la première fois que les dispositions de la loi «plein emploi» à l’égard des allocataires du RSA sont contestées. Des parlementaires de gauche s’étaient tournés vers le Conseil constitutionnel en 2023, sans succès, même si syndicats et associations estiment aujourd’hui que le respect de la proportionnalité des peines, auquel le Conseil disait veiller, a été ignoré dans la rédaction du décret. Puis, en mars, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale a demandé un moratoire sur ce décret qu’il jugeait «disproportionné au regard du volume, marginal, des situations de fraudes». L’avis de cette instance, pourtant placée auprès du Premier ministre, n’a pas été pris en compte.
«Perte de sens» chez les agents de France Travail
Outre le sort des allocataires, celui de ceux qui travaillent dans les conseils départementaux ou chez France Travail préoccupe également les syndicats. La multiplication des contrôles entraîne une «perte de sens» pour ces professionnels de l’accompagnement, qui les amène parfois à «résister», témoigne Lydie Nicol. «Mais est-on toujours en mesure de résister aux injonctions de la direction quand on est soi-même en CDD ?» interroge Denis Gravouil, secrétaire confédéral de la CGT.
Tous, à l’instar de Didier Duriez, appellent les responsables politiques «dans cette période de fractures et d’incertitudes» à «faire le choix de rassembler plutôt que de diviser, le choix de la solidarité plutôt que de désigner des boucs émissaires, le choix de protéger, de soutenir, d’accompagner, plutôt que de culpabiliser, de sanctionner, d’insécuriser des personnes qui sont déjà parmi les plus précaires de notre pays». Pas tout à fait les choix du gouvernement Lecornu, qui a conservé dans ses projets budgétaires une multitude de mesures d’économies imaginées par son prédécesseur mettant à contribution les plus pauvres.