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Travail: l’indépendance ne protège pas de la pauvreté

Un travailleur indépendant sur dix gagnait moins de la moitié du smic annuel et vivait sous le seuil de pauvreté en 2018 et 2019, selon l’Insee. Certaines catégories, comme les agriculteurs, les artistes ou les moins de 30 ans sont particulièrement concernées.
(Julien Guillot)
publié le 11 janvier 2022 à 12h59

L’indépendance se révèle-t-elle trop souvent une trappe à pauvreté ? Selon une note de l’Insee publiée la semaine dernière, près d’un travailleur indépendant sur dix touchait moins de la moitié du smic annuel et vivait sous le seuil de pauvreté en 2018 et 2019. Ce qui signifie que l’activité professionnelle de ces personnes ne leur rapportait pas davantage que 7 200 euros à l’année, et que les éventuels compléments de revenus (prime d’activité, RSA, indemnités chômage…) perçus par leur ménage ne leur permettaient pas de vivre avec plus de 1 000 euros par mois.

Derrière cette donnée brute, les situations varient considérablement d’une catégorie socioprofessionnelle à l’autre. C’est normal, vu la diversité du monde des indépendants, qui regroupent aussi bien des avocats que des bouchers ou des livreurs à vélo. Ainsi, parmi les chefs d’entreprise de dix salariés ou plus, les professionnels libéraux (avocats, médecins…) ou encore certains professionnels de la santé (kinés, infirmiers libéraux…), la part de pauvres est très faible et n’excède pas les 6%.

Peu de données sur «micro-entrepreneurs»

A l’opposé, près d’un agriculteur indépendant sur quatre vit sous le seuil de pauvreté, avec des revenus annuels inférieurs à la moitié du smic annuel (ce que l’Insee appelle «gagner très peu») pour presque 40% d’entre eux. Les parts de travailleurs gagnant «très peu» ou vivant sous le seuil de pauvreté sont également très élevées chez les commerçants indépendants (un sur trois gagne «très peu» ; un sur cinq est pauvre), les artisans indépendants (29% gagnent «très peu» ; 24 % sont pauvres) ou parmi les professions de l’information des arts et des spectacles – qui comprennent par exemple, précise l’Insee, les écrivains et les plasticiens – (un sur deux gagne «très peu» et le taux de pauvreté y atteint presque 30%).

Il faut ici préciser, ce que fait l’Insee, que gagner «très peu» et vivre sous le seuil de pauvreté sont deux choses différentes, même si elles vont souvent ensemble. En effet, en cas de faibles revenus, certaines prestations sociales (RSA, prime d’activité…) peuvent avoir «un effet protecteur», relève l’institut. Par ailleurs, selon les chercheurs, si les taux de pauvreté peuvent impressionner, il faut aussi avoir à l’esprit qu’«une partie des dépenses de consommation [des indépendants] peuvent être intégrées directement dans les comptes de leur société ou exploitation» : c’est le cas par exemple des dépenses d’énergie ou de logement. Si bien que l’Insee estime que «si le taux de pauvreté monétaire des indépendants est nettement plus élevé que celui des salariés [17,6% contre 6,8% en 2019, ndlr] dans leur ensemble ils ne sont pas plus confrontés que les salariés aux privations matérielles et sociales».

Dans sa note, l’institut ne s’attarde hélas pas sur une part non négligeable des trois millions d’indépendants : ceux, estimés à 2 millions de personnes, qui exercent sous le statut «micro-entrepreneur», précédemment connu sous le nom d’«auto-entrepreneur». Souvenez-vous : en 2008, le lancement de ce nouveau régime avantageux fiscalement était une des grandes innovations «sociales» du quinquennat Sarkozy. «On permet en quelque sorte à chaque Français de réaliser son rêve en créant sa propre entreprise !» s’enthousiasmait son géniteur Hervé Novelli, le secrétaire d’Etat chargé des PME. «Le succès de l’auto-entrepreneur est en passe de devenir un phénomène de société», triomphait le chef de l’Etat l’année suivante, en recevant des entrepreneurs à l’Elysée. «Je souhaite que l’on fasse de vos histoires personnelles des exemples dans les écoles, dans les cités, à la télévision, pourquoi pas.»

Douze ans plus tard, il serait intéressant de savoir combien de ces «micro-entrepreneurs» gagnent moins que la moitié du smic ou vivent sous le seuil de pauvreté, car on retrouve sous ce statut l’écrasante majorité des travailleurs dits «ubérisés», c’est-à-dire les livreurs à vélo et les chauffeurs de VTC, notamment. Hélas, l’Insee ne fournit pas ces informations. L’institut distille tout de même quelques données suggérant que leur situation n’est, bien souvent, pas très enviable. Ainsi, soulignent les chercheurs, «plus du tiers des indépendants de moins de 30 ans perçoivent de faibles revenus d’activité». Or, un indépendant de moins de 30 ans sur deux est micro-entrepreneur. On devra se contenter de ça.