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Etude(s)

Un homme cadre a cinq ans d’espérance de vie en plus qu’un ouvrier

Les inégalités d’espérance de vie entre les catégories professionnelles et sociales restent marquées, en particulier chez les hommes, relève une étude de l’Insee sur la période 2020-2022.
A 35 ans, les hommes cadres vivent en moyenne 5,3 ans de plus que les ouvriers. (Clément Mahoudeau/AFP)
publié le 16 juillet 2024 à 17h00

L’argument avait été largement repris l’an dernier par les opposants à la réforme des retraites du gouvernement d’Elisabeth Borne, qui a repoussé de 62 à 64 ans l’âge légal de départ. Cela reste une réalité. Les inégalités sociales se manifestent jusque devant la mort. C’est ce que montre la dernière étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), qui compare les espérances de vie (1) selon les professions exercées et le niveau de diplôme.

Les cadres sont, parmi les hommes, ceux qui ont l’espérance de vie la plus longue. A 35 ans, ils vivent en moyenne 5,3 ans de plus que les ouvriers, soit 48,9 ans, dans les conditions de mortalité de 2020-2022, selon les dernières statistiques de l’Insee. Ils vivent aussi près de 4 ans de plus que les employés, près de 2 ans de plus que les agriculteurs, et près de 15 ans de plus que les inactifs non retraités. Le risque de mourir entre 35 et 65 ans est 2,5 fois plus élevé pour les hommes ouvriers (15 %), que pour les cadres (6 %). Entre 65 et 75 ans, il est de 20 % pour les ouvriers et de 12 % pour les cadres. Les mêmes inégalités se retrouvent en comparant les diplômes. Plus ce dernier est élevé parmi les hommes, plus l’espérance de vie l’est. L’écart atteint 8 ans entre les diplômés du supérieur et ceux qui n’en ont aucun, près de 4 ans entre les diplômés du supérieur et les titulaires d’un CAP ou d’un BEP.

Chez les femmes non plus, l’espérance de vie n’est pas la même selon la catégorie sociale et le niveau de diplôme. Ce sont les cadres qui ont également la plus longue espérance de vie, mais les écarts sont moins creusés avec les autres professions. «Quelle que soit leur catégorie sociale, les femmes vivent plus longtemps que les hommes. L’espérance de vie des ouvrières est même légèrement supérieure à celle des hommes cadres», écrit dans cette note son autrice Nathalie Blanpain, statisticienne et démographe de l’Insee. Ainsi, l’espérance de vie à 35 ans est de 53 ans pour les femmes cadres, et de 49,6 ans pour les ouvrières, soit 3,4 ans de moins, toujours dans les conditions de mortalité de 2020-2022. Entre les cadres et les agricultrices, l’écart est de 2,5 ans. Il est de près de deux ans avec les employées. Entre les diplômées du supérieur et les non-diplômés, la différence est de 5,4 ans. «Une femme âgée de 35 ans a 8 % de risque de mourir avant 65 ans si elle est soumise à chaque âge aux conditions de mortalité des ouvrières de 2020-2022, et 4 % si elle est soumise à celles des cadres. Une femme âgée de 65 ans a 10 % de risque de mourir avant 75 ans si elle est soumise à chaque âge aux conditions de mortalité des ouvrières de 2020-2022, et 6 % si elle est soumise à celles des cadres», ajoute l’Insee.

Les ouvriers plus exposées aux maladies du travail

Comment expliquer de telles disparités ? Plusieurs facteurs entrent en jeu. La nature des professions exercées peut directement faire varier l’état de santé, en lien avec les risques professionnels, comme les accidents, la pénibilité ou les maladies du travail, auxquels les cadres sont moins exposés que les ouvriers. L’Insee avance aussi la variété des modes de vie selon les groupes sociaux, qui se lisent dans les comportements de santé à risque, dans l’accès aux soins, ou encore dans la prévalence de l’obésité. Le lien peut être inverse : l’appartenance à une catégorie sociale peut ne pas être la cause mais la conséquence d’une mauvaise santé. «Une santé défaillante peut empêcher la poursuite d’études, le maintien en emploi, ou rendre plus difficiles les promotions et l’accès aux emplois les plus qualifiés en cours de carrière», remarque l’Insee. La différence genrée s’expliquerait notamment par des comportements chez les femmes plus favorables à leur santé, l’exposition moindre à des consommations dangereuses d’alcool, un meilleur suivi médical, notamment lors de leur vie féconde, ou encore une durée de travail plus faible (elles sont plus souvent à temps partiel, leurs carrières sont souvent interrompues par un congé maternité), qui réduit leur exposition aux risques professionnels.

Si l’égalité semble encore hors de portée, depuis trente ans, l’écart d’espérance de vie à 35 ans entre hommes ouvriers et cadres a eu tendance à se réduire. Il est passé de 7 ans dans les années 90, à 5,3 ans en 2020-2022, parce que les ouvriers ont vu leur espérance de vie progresser plus rapidement que les cadres. Chez les femmes, en revanche, il a augmenté entre ces deux professions, passant de 2,6 à 3,4 ans sur la même période, l’espérance de vie des ouvrières ayant progressé à un rythme moindre que celle des femmes cadres. De toutes les catégories, une seule a vu son espérance de vie reculer en trois décennies, les femmes inactives et non retraitées, qui ont perdu plus d’un an. Une des hypothèses avancées par l’Insee serait que la forte diminution des femmes au foyer aurait transformé cette population, ce qui a pu accroître la part de l’inactivité liée à des problèmes de santé.

(1) L’«espérance de vie» à 35 ans telle que la considère l’Insee correspond au nombre moyen d’années restant à vivre qu’aurait une génération soumise, au-delà de cet âge de 35 ans, aux conditions de mortalité d’une année donnée. Ces conditions de mortalité variant au fil des années, cette génération est fictive. Il ne s’agit donc pas d’une prévision de la durée de vie moyenne d’une personne.