«Désmicardiser la France». L’objectif de l’ex-Premier ministre Gabriel Attal ne risque pas de toucher le secteur de la livraison de repas, si on en croit l’enquête publiée mercredi 2 octobre par l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (Arpe). Moins de 10 euros de l’heure pour les 60 000 livreurs Uber Eats, 11,30 pour ceux de Stuart… Ces deux incontournables du marché de la livraison font figure de mauvais élèves avec une rémunération inférieure au smic horaire, fixé à 11,65 euros brut. Pour trouver des exemples de rémunérations plus vertueuses, il faut regarder du côté de Deliveroo (autre gros acteur du secteur avec 20 000 repas livrés quotidiennement), 16,80 euros de l’heure, ou Delicity, 14 euros.
Des conditions de travail diminuées malgré un encadrement légal
«C’est un sujet qui doit questionner les partenaires», du côté des plateformes comme des syndicats de professionnels, estime Joël Blondel, directeur général de l’Arpe. Cette étude, qui se fonde sur les chiffres publiés par les sociétés de livraison, révèle que le revenu moyen a baissé depuis 2021, quelle que soit la plateforme considérée. La question est d’autant plus urgente à traiter que, une fois cette rémunération touchée, le livreur, qui est autoentrepreneur, doit encore payer son véhicule (scooter, vélo électrique), son assurance et des cotisations sociales.
En avril 2023, les plateformes de livraison, comme Uber Eats et Deliveroo, avaient pourtant signé un accord garantissant aux livreurs un revenu minimal horaire, fixé à 11,75 euros brut. Mais sans comptabiliser le temps d’attente entre deux commandes. Si Deliveroo reconnaît que le revenu moyen à la course s’est infléchi (5,60 euros à 5,50 euros en 2023), il note que le temps d’attente des livraisons a également baissé (18 % entre 2022 et 2023). Livrées plus rapidement, les commandes devraient laisser du temps aux livreurs pour en réaliser plus. Avec pour résultat de ne pas affecter la rémunération globale, assure la plateforme.
Pour appuyer sa démonstration, le directeur des relations externes fait valoir que les données recueillies par l’Arpe «ne sont pas agrégées», car elles ne ne prennent pas en compte le fait que nombre de coursiers travaillent souvent au cours de la même soirée pour plusieurs plateformes. Le calcul du temps d’attente serait donc biaisé car le livreur peut avoir «d’autres opportunités» de livraison venues d’autres plateformes.
Un algorithme inconnu
«Ce rapport montre la nécessité de pouvoir avoir accès à l’algorithme» de calcul de la rémunération par les plateformes, a réagi Ludovic Rioux, membre de la CGT des Livreurs à vélo auprès de l’AFP. Plateformes et livreurs ont entamé fin septembre un cycle de négociations dans le secteur, qui va se buter aux «plateformes [refusant] de discuter de la rémunération», selon le syndicaliste. Ce système «fabrique des travailleurs extrêmement pauvres : à dix euros brut de l’heure, vous ne vivez pas», lance Fabian Tosolini, d’Union-Indépendants, qui menace aussi d’une «rupture des négociations». De son côté, l’association des plateformes d’indépendants (AFP), qui regroupe Uber Eats, Deliveroo et Stuart attend les résultats d’une expertise portant sur «la transparence de l’algorithme» avant de reprendre les discussions sur le sujet de la rémunération.
«Il y a trop de créations d’entreprises en livreurs : forcément, à un moment donné, ça ne va faire que tirer à la baisse le revenu moyen», alerte de son côté Grégoire Leclercq, président de la Fédération nationale des auto-entrepreneurs (FNAE), interrogé par l’AFP. Il demande donc la création «d’une licence» pour les livreurs à deux-roues.
Le secteur du VTC en meilleur état
Le rapport de l’Autorité s’est également intéressé à l’évolution de la véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC). En 2019, un chauffeur Uber ne touchait en moyenne que 9,15 euros par heure sur les 24,81 euros récoltés, devant déduire de son salaire la commission versée à la plateforme (25%), les frais de service, la TVA et les cotisations sociales. Ces professionnels ont vu leurs revenus évoluer en 2023 selon les plateformes, après la signature d’un accord en 2023 pour revaloriser le prix de la course à neuf euros net minimum, un euro par kilomètre parcouru et 30 euros l’heure d’activité, sans déductions.
Résultat : les revenus horaires moyens sont restés stables, sans suivre l’inflation, chez les leaders du secteur Uber et Bolt, ainsi que pour les services premium Marcel et Le Cab. Ils ont baissé chez Freenow et Heetch. Ils ont en revanche augmenté du côté de Caocao et des services premium Allocab et Blacklane.