Heureux comme un actionnaire de TotalEnergies gavé, d’année en année, de superdividendes par le PDG du groupe Patrick Pouyanné sur qui semblent glisser la critique et la polémique. Alors que la question de la taxation des superprofits des géants du CAC 40 n’a jamais été aussi présente dans le débat public pour participer à l’effort de réduction du déficit, le géant pétrolier français ne change pas ses habitudes. A l’occasion de la présentation de sa stratégie aux investisseurs à New York, ce mercredi 2 octobre, le groupe a annoncé un nouveau programme de rachat d’actions très généreux de 8 milliards de dollars pour cette année, correspondant à 5 % de son capital. Entre cette opération – qui vise à acheter des actions pour les annuler ensuite, ce qui fait monter mécaniquement le cours de Bourse – et la distribution d’un dividende en hausse de 7 % pour un montant total de 7,5 milliards, au titre des résultats de l’exercice 2023, «le retour à l’actionnaire devrait ainsi être supérieur à 45 % du cash-flow en 2024», et non de 40 % comme annoncé initialement.
Une annonce qui ressemble un peu à une provocation au lendemain de la déclaration de politique générale qui a vu le nouveau Premier ministre Michel Barnier confirmer son intention de «demander une participation au redressement collectif, aux grandes et aux très grandes entreprises qui réalisent des profits importants». Avec près de 20 milliards d’euros de profits en 2023 – le meilleur bénéfice de son histoire –, TotalEnergies est avec d’autres cadors comme LVMH ou Engie particulièrement visé par cette future taxe sur les superprofits dont le gouvernement n’a pas encore détaillé les modalités ni le montant. L’une des pistes dans les cartons de Bercy, la taxation justement de ces opérations de rachats d’actions, de plus en plus utilisées par les grands groupes internationaux. Emmanuel Macron lui-même a appelé à taxer cette pratique.
Une taxe qui ne fait pas peur à Patrick Pouyanné
Devant les investisseurs à New York, Pouyanné n’a pas eu l’air traumatisé par cette perspective : «La base de la discussion tourne autour d’une taxe de 1 %, similaire à ce qui se pratique aux Etats-Unis», a-t-il expliqué. «Il m’est difficile de m’y opposer, car c’est ce qui se passe aux Etats-Unis», a-t-il reconnu. Même pas peur. Idem pour le relèvement possible de l’impôt sur les sociétés de 28 à 33 % envisagé par le gouvernement : «l’ampleur» de l’impôt sur les bénéfices «est assez limitée» pour TotalEnergies, qui fait l’essentiel de ses profits à l’étranger. «Je ne m’attends donc pas à ce qu’il y ait beaucoup d’impact pour nous», a-t-il indiqué. Mais tout se passe comme si Total se dépêchait de distribuer autant d’argent qu’il le pouvait à ses actionnaires avant des temps plus incertains, avec le ralentissement prévisible du marché des hydrocarbures. Les prix de l’énergie refluent en effet ces derniers mois et au premier semestre 2024, le bénéfice net de Total a reculé de 1 %, tandis que celui d’ExxonMobil a chuté 9,6 % et celui de BP a presque été divisé par cinq.
En attendant, c’est une nouvelle pluie d’argent qui va récompenser les actionnaires de TotalEnergies, à commencer par les fonds anglo-saxons qui détiennent 48 % de son capital. Pour eux, ce nouveau rachat d’actions est la cerise sur le gâteau. Notamment pour les plus gros détenteurs de titres comme les fonds d’investissement français Amundi, le Britannique MFS ou l’Américain State Street : ceux qui veulent vendre des actions de l’entreprise pourront le faire au plus haut et ceux qui ne vendent pas verront le cours de Bourse de TotalEnergies monter encore. L’annonce de mercredi a déjà fait grimper le titre de plus de 2,3 %…
Et ce n’est pas fini : pour 2025, la compagnie pétrolière promet de «poursuivre les rachats d’actions à raison de 2 milliards de dollars par trimestre», et d’augmenter le dividende «d’au moins 5 %». Elle s’engage aussi à redistribuer «plus de 40 % du cash-flow à travers les cycles» à ses actionnaires d’ici à 2030. Nul doute que ces chiffres devraient agir comme un chiffon rouge pour ceux qui réclament une taxation des superprofits de TotalEnergies, tant au titre de la contribution à la société qu’en réparation de sa dette environnementale. Le groupe écologiste à l’Assemblée présentera ainsi ce jeudi une proposition de loi en ce sens, portée par les députées Eva Sas et Cyrielle Chatelain, estimant qu’il est «de la responsabilité des entreprises pétrogazières de financer la réparation des conséquences du dérèglement climatique selon le principe pollueur/payeur». Un projet de taxation qui serait bien plus sévère et générateur de recettes fiscales que celui porté par le gouvernement de Michel Barnier, qui «ne veut pas nuire à la compétitivité» des grandes entreprises.
«Tant qu’il y aura de la demande»
Mais Patrick Pouyanné n’est pas du genre à se couvrir la tête de cendres. Il semble au contraire bien déterminé à exploiter le filon des hydrocarbures «tant qu’il y aura de la demande», comme il l’a déjà répété maintes fois : «Fondamentalement, c’est ça qui nous rapporte aujourd’hui des profits […] et si je veux investir dans le système B [les énergies décarbonées, ndlr], il faut que je tire l’argent de quelque part […] donc nous continuons à investir dans le système A», avait ainsi expliqué le PDG aux sénateurs lors de son audition par la commission d’enquête sur TotalEnergies et le climat. Le groupe a encore annoncé mardi le lancement au Suriname d’un nouveau méga projet pétrolier qui passera par plus de 10 milliards de dollars d’investissements. Et il a relevé sa prévision de croissance de 3 % par an d’ici à 2030 dans les hydrocarbures, principalement grâce au GNL (gaz naturel liquéfié), avec le lancement en 2024 de six projets majeurs (deux au Brésil, Suriname, Angola, Oman, Nigeria) tous contestés par les ONG climatiques. En tout, le groupe compte investir entre 16 et 18 milliards de dollars par an sur la période 2025-30, dont seulement 5 milliards en direction des énergies bas carbone.
Avec un baril de brut repassé sous la barre des 70 dollars le mois dernier, et des interrogations sur la croissance de la demande de pétrole, en particulier en Chine, TotalEnergies devrait toutefois accélérer ses projets dans l’électricité renouvelable à travers le monde. Il ne faut pas injurier l’avenir, quand à bout de forages on en arrivera aux derniers barils de pétrole et mètres cubes de gaz… Le pétrolier a ainsi annoncé ce mercredi que sa production d’électricité dépasserait 100 térawattheures (TWh) en 2030, dont 70 % à base d’énergies renouvelables, ce qui représenterait près de 20 % de sa production d’énergies à cet horizon. Cela fera toujours 80 % d’hydrocarbures avec une montagne de profits à la clé.