Menu
Libération
Coup de pompe

TotalEnergies voit ses profits s’effondrer mais soigne encore et toujours ses actionnaires

Le bénéfice net du groupe a plongé au troisième trimestre et recule de 28 % à 11,8 milliards de dollars sur les neuf premiers mois de l’année. Le géant français souffre de la baisse des cours du pétrole sur fond de ralentissement économique et de tensions planétaires mais pour lui, le pétrole reste une fin en soi.
Le groupe aura encore misé plus de 15 milliards de dollars dans ses activités d’exploration-production cette année. (Martin Bertrand/Hans Lucas)
publié le 31 octobre 2024 à 15h15

Ce n’est plus «l’Oildorado». La civilisation des hydrocarbures est encore loin de toucher à sa fin, mais à l’image des autres majors du pétrole, TotalEnergies subit de plein fouet le ralentissement économique planétaire, particulièrement flagrant en Chine et en Europe, et les menaces croissantes de guerre régionale au Moyen-Orient. Ce jeudi 31 octobre, la multinationale française a annoncé des profits trimestriels en chute libre en expliquant le phénomène par le fort repli de ses marges de raffinage et la baisse des prix du pétrole.

C’est simple, au troisième trimestre, TotalEnergies, qui publie ses résultats en dollars comme c’est dans la norme dans le secteur, a vu son bénéfice net plonger de 39 % à 2,3 milliards de dollars par rapport au trimestre précédent. Et d’une année sur l’autre, la dégringolade atteint carrément 65 % par rapport au troisième trimestre 2023 ! En excluant les effets de stocks, les éléments non récurrents comme les cessions ou acquisitions et les variations de valeur, le groupe met en avant un résultat net ajusté de 4,1 milliards de dollars contre 4,3 milliards attendus par le consensus des analystes financiers. Et, au bout du compte, le bénéfice net des neuf premiers mois de l’année 2024 recule de 28 % à 11,8 milliards de dollars sur un an. En cause, la baisse de la production imposée par une croissance devenue molle un peu partout : cela fait encore beaucoup de CO2 dans l’atmosphère, mais Total a réduit ses volumes de 5 % par rapport à l’année dernière et ses unités de raffinage ne tournent plus actuellement qu’à 85 % de leurs capacités. Seule activité à progresser, les énergies renouvelables, dans lesquelles le pétrolier français a beaucoup investi ces dernières années, solaire en tête : sa production d’électricité verte a progressé de 23 % au troisième trimestre à 11,1 TWh et la puissance totale de panneaux photovoltaïques et d’éoliennes installée par le groupe flirte désormais avec les 25 GWh.

Les autres majors aussi

Voilà pour l’avalanche de chiffres qui faisait chuter le cours de l’action TotalEnergies de près de 3 % ce jeudi matin à la Bourse de Paris. Mais cela n’empêche pas le géant français du pétrole et du gaz de continuer à gâter encore et toujours ses actionnaires qui vont empocher un troisième acompte sur dividende au titre de l’exercice 2024 (0,79 euro par action, en hausse de 7 %) et de confirmer de nouveaux rachats d’actions qui atteindront 8 milliards en tout sur l’année. De quoi relancer le débat budgétaire sur la taxation de ces pratiques chères aux groupes du CAC 40 à l’Assemblée ? Total devrait encore engranger des superprofits annuels sujets à polémique, mais on sera bien en deçà du bénéfice historique et monstrueux – 20 milliards d’euros – enregistré en 2023. Simple coup de mou conjoncturel lié à l’état chaotique du monde ? Son PDG, Patrick Pouyanné, veut rassurer ses investisseurs : «Dans un environnement pétrolier baissier, avec des marges de raffinage en fort repli, TotalEnergies démontre la résilience de son modèle multi-énergies intégré», a-t-il commenté dans le communiqué financier publié ce matin avant Bourse.

De fait ses grands concurrents résistent plutôt moins bien dans ce climat géopolitique inquiétant qui percute les cours du baril de brut. Le géant britannique Shell a publié le même jour un bénéfice trimestriel en fort repli à 4,3 milliards de dollars, contre 7 milliards l’an dernier. Et en début de semaine, sa compatriote BP a carrément annoncé un «miniprofit» réduit à 206 millions de dollars, contre 4,9 milliards un an plus tôt… Les «Big Oils» américaines ExxonMobil et Chevron, dévoileront leurs résultats trimestriels vendredi et pour Halloween, Wall Street ne s’attend pas à la fête.

Le baril au plus bas depuis trois ans

Dans ce contexte «de croissance économique mondiale modeste et de tensions géopolitiques au Moyen-Orient, les prix du pétrole sont volatils», reconnaît TotalEnergies, en soulignant que les prix du gaz européens, eux, se maintiennent à des niveaux soutenus. Jolie litote pour reconnaître que les prix du baril de brut ont touché leur plus bas depuis trois ans début septembre, à moins de 70 dollars, et ce malgré l’intervention de l’Opep qui a réduit la production. Depuis, avec les frappes iraniennes et israéliennes réciproques et l’offensive de Tsahal au Sud Liban contre le Hezbollah, la situation dans la région ne s’est évidemment pas arrangée. On est désormais loin des 100 dollars le baril, dépassés en 2022 après la guerre en Ukraine, un recul qui profite aux automobilistes à la pompe mais beaucoup moins aux compagnies pétrolières, qui se refont un peu la cerise sur le gaz naturel liquéfié (GNL) dont les cours restent élevés. Les consommateurs en savent aussi quelque chose.

Vu la tension au Moyen-Orient et dans le Golfe, les marchés restent donc circonspects sur les perspectives du secteur. Ce qui n’empêche pas TotalEnergies de rester optimiste à sa manière de pétrolier en continuant à investir massivement dans les hydrocarbures, en dépit des vives polémiques que déclenchent ses nouveaux projets en Afrique ou en Asie, jugés «climaticides» par les ONG : le groupe aura encore misé plus de 15 milliards de dollars dans ses activités d’exploration-production cette année. Et il compte bien continuer à exploiter pétrole et gaz «tant qu’il y aura de la demande» comme le martèle à chaque occasion Patrick Pouyanné. En 2023, les renouvelables n’ont contribué que pour 5 % des profits de Total et l’électricité ne représentera au mieux que 20 % de sa production d’énergie en 2030.