Sur les routes alsaciennes ce lundi 7 octobre matin, le trafic a tourné au ralenti. Au départ de Strasbourg et de Mulhouse, des dizaines de camions ont participé à une opération escargot pour protester contre un projet de taxe poids lourds que la Collectivité européenne d’Alsace (CEA) – issue de la fusion des conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin – souhaite instaurer d’ici à 2027. «Non à un nouvel impôt», «Si vous l’avez c’est qu’un camion vous l’a apporté. S’il est taxé, vous le payez» pouvait-on par exemple lire sur certaines banderoles. A la mi-journée, les routiers ont pris la destination de Colmar et le siège de la CEA pour porter leur revendication contre cette écotaxe facturée à hauteur de 15 centimes pour chaque kilomètre. Tarifs, date de mise en fonctionnement, répercussions économiques… Libé fait le point sur ce «R pass», qui suscite l’ire des routiers alsaciens, mais qui est considéré par la collectivité comme indispensable pour «rééquilibrer» le trafic.
Quels sont les principes de cette nouvelle écotaxe ?
Avec le «R pass», la Collectivité européenne d’Alsace (CEA) souhaite instaurer une taxe sur les poids lourds de plus 3,5 tonnes circulant sur l’autoroute A35, axe traversant l’Alsace du Sud au Nord, parallèle à la région allemande de la Forêt Noire. En fonction de la distance parcourue, chaque camion devra s’acquitter d’une somme, à hauteur d’une moyenne de 15 centimes par kilomètre. Le montant de la taxe pourrait éventuellement être amené à varier selon les portions de route et les horaires de la journée.
Selon Frédéric Bierry, président (DVD) de la CEA, «sur les 500 kilomètres de route taxables par la collectivité», ce projet prévoit «d’en taxer environ 200». Dans son viseur : le «trafic de transit», ces routiers qui traversent une région, mais dont les points d’arrivée et de départ sont hors de celle-ci. Après un vote de principe prévu par les élus alsaciens le 21 octobre prochain, cette nouvelle taxe - qui pourrait rapporter 64 millions d’euros par an - devrait voir le jour d’ici à 2027.
Pourquoi la Collectivité européenne d’Alsace soutient ce projet ?
Le président de la CEA explique à Libération que «l’objectif est alors de rééquilibrer le trafic de transit des poids lourds» sur cette autoroute, largement empruntée par les transporteurs étrangers. Car «depuis que les Allemands ont mis en place la taxe Maut, toute une partie du trafic de transit, qui devrait rester en Allemagne, traverse en fait le Rhin pour éviter de payer des frais». Et Fréderic Bierry d’ajouter : «Pour quelques kilomètres en plus seulement, les transporteurs économisent 50 euros.» Résultat : depuis la dernière augmentation de la redevance allemande, fixée à 34 centimes du kilomètre, le président de la Collectivité rapporte avoir enregistré «une augmentation du trafic de poids lourds sur ses grands axes de plus de 20 % sur les six premiers mois de l’année», et une «hausse de 30 % pour les mois d’août et septembre».
En parallèle, la Collectivité européenne d’Alsace pointe du doigt «un enjeu de santé publique et d’augmentation de la pollution atmosphérique et sonore» ; un problème de sécurité, avec «pratiquement un accident un jour sur deux», ou encore des questions de «fluidité» sur les routes. Au regard de cette situation, «la seule solution est de mettre en place cette taxe. Car si on ne fait rien, j’ai peur que ce phénomène s’amplifie dans les années à venir. On ne peut plus se permettre d’attendre», met en garde Fréderic Bierry.
Pourquoi les routiers s’opposent-ils à sa mise en place ?
Avec de tout autres arguments, les routiers alsaciens se sont, eux, mobilisés ce lundi contre la mise en place de cette taxe, à l’appel de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) d’Alsace. Ils redoutent ses répercussions économiques sur les professionnels de la région. «Cela fait deux ans que ce projet est sur la table et que l’on se bat contre, avance à Libération Marie Frick, membre du bureau de la FNTR d’Alsace. Car tout d’abord, le R pass va mener à la faillite de nombreuses entreprises, puisqu’on ne pourra pas répercuter entièrement ces coûts supplémentaires sur nos clients, alors que nous en sommes les premiers collecteurs. Aussi, cette taxe va instaurer une concurrence déloyale entre l’Alsace et les autres régions, ce qui revient donc à augmenter le coût de la consommation locale.» Selon ses estimations, l’instauration de cette taxe pourrait par exemple coûter plus de 45 000 euros par an à sa PME de 12 salariés. Soit «le coût d’un véhicule neuf», et de «l’argent qui pourrait être investi dans un véhicule moins polluant».
Par ailleurs, la membre du conseil d’administration de la première organisation professionnelle du transport routier de marchandises fustige le fait «qu’aucun report du trafic de l’Alsace vers l’Allemagne ne se fera», la taxe française restant toujours moins élevée que celle en vigueur outre-Rhin. Aux côtés des convois de la FNTR, le Collectif pour la compétitivité de l’économie alsacienne (CCEA) – composé de viticulteurs, agriculteurs, ou encore de membres de la Medef et de ses branches – soutient, lui aussi, que «ce ne sont pas seulement les transporteurs qui s’opposent fermement à cette mesure, mais bien l’ensemble des filières économiques d’Alsace. […] Tous les secteurs, quels qu’ils soient, seront gravement impactés par cette taxe, et ce, bien au-delà du secteur du transport, jusqu’au pouvoir d’achat des consommateurs».
Est-ce que ce mouvement pourrait faire tache d’huile ?
Même si Frédéric Bierry promet des «dérogations pour exonérer différentes branches», mais aussi de «réinjecter une partie des recettes dans l’économie locale pour soutenir différents projets, en priorité dans l’entretien de la route», Marie Frick entend continuer de se mobiliser pour «un abandon complet de la taxe». «Aujourd’hui n’était que le premier jour de notre combat collectif, l’heure est maintenant à l’action», prévient-elle à l’issue d’une réunion de trois heures avec le président de la CEA, ce lundi, dont l’organisation n’est pas ressortie satisfaite. «Tout le monde regarde ce qui se fait en Alsace, car si la taxe passe ici, d’autres régions pourraient avoir l’idée de faire la même chose», croit-elle savoir, en précisant que la branche bretonne de la FNTR vient tout juste d’être réactivée.
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