L’inculpation après les accusations de dissimulation. Goodyear Operations, filiale du géant des pneumatiques américain, soupçonnée d’avoir caché les défauts de certains de ses pneus à l’origine d’accidents de camions mortels en France, a été mise en examen mardi 13 mai.
«Goodyear Operations apportera sa pleine coopération dans le cadre de cette instruction», a précisé une porte-parole de la multinationale auprès de l’AFP. La SAS Goodyear Operations, qui a produit les pneus incriminés et dont le siège est au Luxembourg, a été convoquée mardi par un juge d’instruction de Besançon, dans l’est de la France, dans le cadre d’une enquête ouverte pour «homicides involontaires», «tromperie sur les qualités substantielles d’une marchandise» et «pratiques commerciales trompeuses». Le représentant d’une deuxième entité de Goodyear, la SAS Goodyear France, distributeur des pneumatiques dans le pays, est pour sa part convoqué mercredi.
«Goodyear doit répondre au juge d’instruction à une question simple : savait-il ? Et s’il savait, pourquoi rien n’a été fait pour retirer du marché leurs pneumatiques et ainsi éviter ces drames ?», s’est interrogé mardi dans un communiqué Me Philippe Courtois, l’avocat de Sophie Rollet, veuve d’un chauffeur routier décédé en 2014 dans un accident et qui a porté plainte en 2016, déclenchant cette affaire.
Récit
«Pendant des années, des victimes ont été ignorées»
Le juge doit décider, pour chacune de ces personnes morales, de leur inculpation ou non pour les motifs précités. Les chefs de «tromperie sur les qualités substantielles d’une marchandise» et «pratiques commerciales trompeuses» feraient encourir au troisième fabricant mondial de pneus «une amende maximale qui peut monter jusqu’à 10 % de son chiffre d’affaires», avait souligné le procureur de Besançon, Etienne Manteaux, en avril.
Les auditions des représentants de Goodyear sont «une étape cruciale» et «leurs mises en examens seraient un signal fort», selon Me Courtois qui estime que «pendant des années, des victimes ont été ignorées, des faits étouffés, et les dangers pourtant connus ont été volontairement minimisés».
L’enquête porte sur trois dossiers de collisions mortelles impliquant des poids lourds équipés de pneus Goodyear en France en 2014 et 2016, qui ont fait quatre morts. Elle a donné lieu en mai 2024 à des perquisitions chez Goodyear en France, au Luxembourg et au siège européen de l’entreprise à Bruxelles.
D’après les investigations, les accidents ont été provoqués par l’éclatement du pneu avant gauche des camions, faisant perdre le contrôle du véhicule aux chauffeurs. Pour chacun de ces dossiers, des experts différents ont conclu que l’éclatement de ces pneus Goodyear Marathon LHS II ou Marathon LHS II + n’était pas dû à une cause extérieure mais à un défaut de fabrication.
Une pratique «systémique de dissimulation»
Il est reproché au géant américain d’avoir eu connaissance de ce défaut sur ces deux modèles, mais de ne pas en avoir averti ses clients. A partir de 2013, Goodyear a mis en place des «programmes volontaires d’échange», ce qui lui a permis de récupérer environ 50 % des équipements incriminés. Mais le groupe n’a pas procédé à une campagne de rappel «impératif» des pneus concernés, dont certains sont toujours disponibles sur des sites de ventes d’occasion en Europe de l’Est, selon le procureur.
Décryptage
Etienne Manteaux, qui a depuis quitté Besançon, avait fustigé une pratique «systémique de dissimulation» destinée à ne pas «induire de perte de confiance chez les consommateurs». Les accidents auraient «peut-être» pu être évités si l’entreprise avait enclenché un programme de rappel, selon lui.
Quatre autres dossiers portant sur des collisions similaires survenues entre 2011 et 2014, dans lesquelles trois personnes sont mortes, toujours en France, ont par ailleurs été versés à l’instruction à titre d’information, les faits étant prescrits.
Ces drames n’ont pas concerné que la France. «Je crois qu’il y a eu des accidents dans toute l’Europe», avait estimé Etienne Manteaux, précisant avoir reçu «plusieurs messages d’intérêt» de différents pays. «Il y aura une offre de service de porter à la connaissance d’autres pays européens les éléments recueillis dans le cadre» de l’enquête réalisée en France, avait-il dit.