Après plus d’un siècle d’existence, le canal de Panamá fait face à de nouveaux défis. Ce mercredi 26 avril, l’étroite route maritime d’Amérique centrale est dans une situation préoccupante, au point de nécessiter la suspension d’une partie du trafic. S’il représente l’une des plus grandes prouesses d’ingénierie de l’histoire, cet aménagement voit désormais sa plus grande faiblesse exposée par le changement climatique : sa dépendance cruciale à l’eau douce. Contrairement au canal égyptien de Suez, qui ne constitue qu’une voie maritime horizontale, le canal de Panamá est une structure particulièrement complexe et nécessite d’importantes ressources hydriques. Il pourrait être condamné dans un futur plus ou moins proche. Explications.
Un raccourci révolutionnaire
En 1904, les Etats-Unis se lancent dans un chantier d’exception – après un échec français –, relier l’océan Pacifique et l’océan Atlantique par un couloir de 80 km de long. Mais il est techniquement impossible à l’époque de creuser tout droit une route maritime. Les ingénieurs américains sont contraints de créer un lac artificiel entre les deux océans : le lac Gatún. Ce dernier est approvisionné en eau douce grâce au lac Alajuela, situé quelques kilomètres plus haut, et à un barrage sur la rivière Chagres. (Cliquer sur la carte pour l’agrandir)
Le lac Gatún se trouve à 26 m environ au-dessus du niveau de la mer. Une altitude qui semble modeste, mais loin d’être anodine pour un navire de gros tonnage. Traverser le lac sans encombre nécessite de franchir trois jeux d’écluses avec plusieurs sas, ainsi qu’un deuxième lac artificiel, le lac Miraflores. Une telle traversée dure entre neuf et dix heures. Heureusement, chaque écluse est doublée : deux navires peuvent donc se croiser.
Une fois le percement de l’étroite bande de terre de l’isthme de Panamá achevé, en 1914, la voie d’eau ainsi dégagée permet d’éviter le contournement par le Cap Horn, à la pointe sud de l’Amérique. Les navires économisent des milliers de kilomètres – et de jours – de navigation. Une révolution pour le trafic maritime international et, par extension, l’économie mondiale. Plus de 14 000 embarcations peuvent l’emprunter chaque année, soit environ 40 par jour.
Un élargissement historique
Pendant un siècle, les bateaux n’ont pas dépassé les dimensions des écluses du canal de Panamá. Chaque écluse mesure 304,8 m de long, 33,5 m de large et fait 12,5 m de profondeur. Les navires qui peuvent les emprunter sont appelés les «Panamax». L’arrivée d’énormes porte-conteneurs a obligé le Panamá à réaliser des travaux titanesques à partir de 2006, face aux projets de percement de routes maritimes concurrentes, au Nicaragua, au Honduras ou encore au Guatemala.
Interview
Dix ans plus tard, en 2016, le Panamá inaugure deux nouvelles écluses, Agua Clara et Cocolí, pour pouvoir accueillir de plus gros bateaux. Elles sont longues de 427 m, larges de 55 m et profondes de 18,3 m. Les navires qui franchissent ces grandes écluses sont appelés les «Post-Panamax». Grâce à ces nouveaux sas, la capacité maximum de cargaison annuelle transportée est passée de 80 millions de tonnes en 1934, à 518 millions de tonnes en 2022, selon l’Autorité du canal de Panamá. La structure représente désormais à elle seule 6% du transport maritime mondial.
Une menace climatique
Les sécheresses et le manque de pluies récurrents ont entraîné un déficit hydrique pour les lacs artificiels du canal. La quantité d’eau stockée dans le lac Gatún diminue année après année. Déjà, en 2019, le canal ne disposait plus que de 3 milliards de m³ d’eau douce, alors qu’il lui en faut un peu plus de 5,2 milliards pour fonctionner. Mais cette année, la sécheresse n’a fait qu’aggraver ce déficit et les précipitations, qui renouvelaient habituellement l’eau des lacs, ne suffisent plus en cette période de saison sèche tropicale. En conséquence, les navires de classe «Post-Panamax» n’ont actuellement plus l’autorisation d’emprunter le canal.
En outre, chaque traversée d’un navire par le canal entraîne le déversement de 200 000 m³ d’eau douce – et donc potable – dans les océans. Pointées du doigt pour leurs importants besoins en eau, les nouvelles écluses ont été équipées de bassins de récupération, qui recyclent 60% de l’eau utilisée pour remplir à nouveau les sas. Mais ils sont insuffisants. Les autorités cherchent d’ores et déjà de nouvelles sources d’eau, sans succès pour le moment.
Une guerre de l’eau qui se profile
En parallèle, le Panama est confronté à un autre enjeu de taille : l’accès à l’eau potable pour l’ensemble de ses habitants. La moitié des 4,3 millions d’habitants du pays se fournissent en eau douce directement dans le lac Gatún. Asséché, il ne permet plus de fournir la population ni de faire fonctionner le canal.
Au début du mois d’avril, de gigantesques manifestations ont paralysé une partie du pays. Le manque d’eau dans les régions limitrophes du canal (notamment Panamá Oeste et Panamá) a poussé les habitants à bloquer une autoroute très empruntée. «Nous ne voulons pas en arriver à un conflit philosophique entre l’eau pour les Panaméens et l’eau pour le commerce international», appréhende Ricaurte Vásquez, directeur de l’Autorité du canal. Il va pourtant sans doute falloir s’y résoudre, selon le directeur de l’Institut panaméen des aqueducs et égouts, Juan Antonio Ducruet : «Il n’y a pas de solution immédiate au problème de l’eau» dans la zone.