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La SNCF a perdu 105 rames de TGV en dix ans

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Le nombre de rames de TGV en circulation n’a jamais été aussi faible depuis dix-neuf ans. Le résultat d’une stratégie de réduction volontaire, mise en place par l’ancienne direction.
par Savinien de Rivet et Emilie Andrieux
publié le 19 octobre 2023 à 10h12

La SNCF a enregistré cet été un record de fréquentation avec 24 millions de voyageurs sur ses grandes lignes. La saison a cependant été marquée par un profond mécontentement de la part de nombreux voyageurs se plaignant de l’insuffisance de l’offre de TGV (40 % d’entre eux affichaient complet) et du niveau très élevé des prix. Le PDG de SNCF Voyageurs, Christophe Fanichet, indiquait quant à lui avoir fait son maximum pour que l’offre soit la plus importante possible, en utilisant au mieux les rames de TGV disponibles. Tout en ajoutant que le nombre de ces dernières est limité et a chuté d’une centaine depuis 2013. Seulement, la compagnie ferroviaire ne fournissait pas jusqu’ici de données précises concernant l’évolution du parc. Pour combler ce manque, Patricia Pérennes, du cabinet spécialisé Trans-mission, s’est attachée à reconstruire une base de données suivant chaque rame de train à grande vitesse, de sa mise en circulation jusqu’à sa mise en rebut, à l’aide de sources multiples (1).

Ces données confirment une chute drastique du nombre de rames, qui atteint aujourd’hui son plus bas niveau en dix-neuf ans. Par rapport à son apogée en 2012 (482 rames), la SNCF a perdu 105 unités soit une chute de 22 %. Tous les TGV Sud-Est, les premiers à avoir été mis en service, ainsi que la majorité des TGV Atlantique (TGV de seconde génération), ont été mis au rebut. La mise en service de nouvelles rames, dont des TGV à deux niveaux (2) n’a pas suffi à enrayer cette tendance.

Moins de rames mais pas moins de billets vendus

Le nombre total de sièges au sein de ces rames de TGV a, quant à lui, moins baissé : la plupart du temps, on a remplacé des trains à un niveau par des trains à deux niveaux, dotés d’un plus grand nombre de sièges. Mais selon le cabinet Trans-mission, la capacité totale a néanmoins diminué de 14 % de 2013 à 2023, soit 30 000 places. La situation actuelle est encore pire si on la compare à la tendance de 1978 à 2012. Avant cette date, le nombre total de places augmentait régulièrement, de 6 500 par an en moyenne, mais la hausse s’est infléchie en 2012 et s’est transformée en baisse à partir de 2013. Si la progression avait continué sur sa lancée, le nombre de places serait aujourd’hui de 290 000, soit 100 000 de plus qu’à l’heure actuelle (50 % de plus).

Cependant, nous a indiqué la direction de la SNCF, la baisse du nombre de rames de TGV ne s’est pas traduite par une diminution de nombre de billets vendus. Ceux-ci ont, selon les chiffres de la SNCF, ont au contraire augmenté de 13 % en dix ans. En raison notamment, selon la compagnie ferroviaire, de progrès effectués dans l’optimisation de la maintenance des rames, dont le taux d’utilisation et de remplissage a nettement augmenté sur la période.

Mais s’il n’y avait pas eu de diminution du nombre de rames, les capacités auraient été, toutes choses égales par ailleurs, largement supérieures à ce qu’elles sont actuellement. Et les prix auraient été moins élevés pour les passagers, du fait de la moindre pression de l’offre par rapport à la demande. De nombreux usagers potentiels se sont probablement rabattus sur l’avion ou la voiture, du fait de prix trop élevés. Le train étant sur longue distance, et de loin, le moyen de transport le plus économe en CO2, ceci a constitué une très mauvaise affaire pour l’environnement. Selon nos calculs (3), si le nombre de places s’était maintenu depuis 2012, le potentiel d’économies de CO2 sur une année aurait été de l’ordre du million de tonnes, autant que les émissions annuelles totales de 250 000 habitants. Et si la tendance à la hausse du nombre de places s’était poursuivie après 2012, ce potentiel d’économies aurait été de 3 millions de tonnes de gaz à effet de serre, soit les émissions totales de 750 000 Français.

Cette situation s’explique principalement par la mise au rebut de près de 200 rames de TGV en une dizaine d’années. Principalement des rames de TGV Sud-Est et Atlantique. Les premiers, qui représentent la première génération de TGV, ont été réformés après 34 ans en moyenne d’utilisation, la plus ancienne ayant quasiment atteint 43 ans lorsqu’elle a tiré sa révérence. Mais les rames de TGV Atlantique, quant à elles, ont été mises à la casse après seulement 28 ans de service en moyenne, soit six ans plus jeunes que leurs homologues.



Si le graphique ci-dessus ne s’affiche pas, vous pouvez le consulter ici.

Cette casse (littérale) de moyen de transport de milliers de voyageurs était à l’époque une volonté parfaitement assumée par la direction de la SNCF. Pour des raisons avant tout commerciales. Car sur les 180 rames envoyées au rebut depuis 10 ans, les 76 rames de type Atlantique étaient encore tout à fait en état de fonctionner, selon nos estimations.

Dans le rapport financier du décembre 2015, la SNCF indique qu’elle déprécie plus de 2 milliards d’actifs (essentiellement des rames de TGV). Et en 2018, Rachel Picard, l’ancienne patronne du TGV à la SNCF, indique son objectif de faire ramener, par économie, le nombre de rames à 330 d’ici 2022, mais affirme que ça ne posera pas de problème au niveau de l’offre du fait de l’optimisation. Son plan n’a pas heureusement pas été suivi jusqu’au bout : il reste 376 rames, soit 46 de plus que dans son projet. Dont 28 rames de TGV Atlantique, qui ne seront mises à la retraite que fin 2029 après près de 40 ans d’utilisation, soit presque douze de plus que leurs homologues.

Une destruction de rames pour des raisons de facturation

Pourquoi la direction de la SNCF a-t-elle jugé bon de restreindre à ce point l’offre de TGV ? Pour des raisons de facturation entre deux entités publiques. Depuis 1997, le ferroviaire a été séparé en deux : RFF (renommé par la suite SNCF réseau), chargé des infrastructures et des voies, et SNCF voyageurs. A chaque passage d’une rame de TGV, le gestionnaire d’infrastructure facture un péage à la SNCF. A partir de 2000, la hausse du prix de ces péages a progressivement poussé la SNCF à augmenter les prix de ses billets de TGV. Dans les années 2010, le niveau élevé des prix, ainsi que l’essor du covoiturage et du transport aérien low-cost ont provoqué peu à peu une désaffection de la part des usagers.

Face à cette désaffection, la SNCF a choisi de diminuer son offre de trains pour comprimer ses coûts, remplir au maximum ses trains et privilégier les clients acceptant de payer plein pot. La direction de la SNCF indique qu’à l’époque, l’entreprise n’avait pas le choix, de nombreuses rames de TGV n’étant pas rentables. Faire circuler des TGV était en effet devenu très cher, surtout en raison de tarifs de péages représentant environ «40 % du prix des billets».

Mais en Italie, c’est justement sur ce point qu’une stratégie inverse a été adoptée en 2010 : les tarifs des péages ont été diminués, ce qui a permis à davantage de trains de circuler sur le réseau, avec des billets meilleur marché. Ce qui a provoqué à la fois une augmentation plus rapide du nombre de voyageurs et un accroissement du chiffre d’affaires aussi bien pour les compagnies ferroviaires que pour le gestionnaire d’infrastructure, selon une étude du cabinet Sia Partners. Ces derniers préconisent d’ailleurs de faire de même pour la France, rappelant que nos péages sur les lignes de TGV sont les plus élevés d’Europe. Selon eux, une baisse des tarifs «contribuerait à augmenter les redevances totales jusqu’à 10 % pour le gestionnaire d’infrastructure».

Un virage stratégique à 180 degrés

Depuis 2019-2020, la SNCF a néanmoins radicalement changé de stratégie en ce qui concerne les destructions de rames. «On est dans une autre phase, indique la direction. Maintenant, l’enjeu pour répondre au sujet de la croissance de la demande, est d’augmenter notre capacité en passant par l’augmentation du parc. Et donc d’augmenter effectivement le nombre de rames.» La nouvelle ligne a coïncidé avec le départ des deux artisans du précédent plan de suppression de rames, l’ancien président Guillaume Pepy et l’ancienne directrice de la branche Voyages SNCF, Rachel Picard. De fait, en 2021, les 28 rames de TGV atlantique épargnées par le précédent plan de suppression ont été rénovées dans le cadre du programme RITA. Et le nombre total de rames devrait repartir à la hausse : le programme Botox, qui concernera 104 rames en tout, devrait prolonger leur durée de vie jusqu’à dix ans. A partir de 2025, 115 rames de TGV M, de nouvelle génération, devraient être livrées progressivement. Leur capacité en sièges sera supérieure de 20 % à celle des précédentes rames de TGV Duplex.

Mais les prix ne devraient pas diminuer de sitôt pour les voyageurs, en raison d’une prochaine augmentation du prix des péages de près de 8 % que l’Agence de régulation des transports a prévu de mettre en place dès 2024 sur les lignes ferroviaires. Les péages de TGV français resteront donc encore un certain temps les plus chers d’Europe. Au grand dam du portefeuille des voyageurs et de l’écologie.

(1) Les chiffres provenant de l’analyse du cabinet Trans-mission diffèrent très légèrement de ceux communiqués par la direction de la SNCF (respectivement 377 rames en circulation contre 360), mais les ordres de grandeurs sont largement similaires. Et nous avons vérifié la méthodologie du cabinet, tout à fait cohérente.

(2) Qu’ils soient nommés Duplex, 2N2 ou Dasye.

(3) Nous avons réalisé ces calculs en prenant en compte les hypothèses suivantes : 7 heures par jour d’utilisation des TGV, une vitesse moyenne de 250 km /heure soit une distance moyenne parcourue de 1 750 km par TGV et par siège. Un taux de remplissage de 70 %. Concernant les émissions de CO2 : 2,4 g de CO2 par km de train contre 75 g pour la voiture ou l’avion (correspondant à des émissions de 100 g par km et un remplissage moyen de 1,5 personne par voiture).