Aux pieds des marches qui mènent à l’Eurostar, orné du drapeau britannique, voyageurs et valises s’entassent dans le grand hall de la gare du Nord. Sur le tableau devant l’escalier, un message s’affiche en anglais et en français : «Grève du personnel du tunnel sous la Manche. Aucune circulation Eurostar Londres ce jour.» Ce jeudi 21 décembre, des dizaines de personnes en partance pour la Grande-Bretagne se sont retrouvées bloquées en France en raison d’une grève surprise entamée à la mi-journée par le personnel pour protester contre le montant d’une prime exceptionnelle de fin d’année. La veille des grands départs en vacances et trois jours avant le réveillon de Noël. «What do we do ?» entend-on autour de l’escalier.
Originaires de Londres, trois jeunes filles attendent dans le silence près de leurs sacs. Depuis jeudi midi, tous les trains circulant dans le tunnel sous la Manche, mais aussi les navettes transportant des voitures et des camions, sont bloqués par un mouvement de grève inopiné déclenché par les syndicats français.
«Je comprends ceux qui font grève»
«Les organisations syndicales ont rejeté la prime exceptionnelle de 1 000 euros annoncée en fin d’année par la direction et appelé à la grève pour en demander le triplement», explique Getlink – la maison mère d’Eurotunnel – dans un communiqué. A Londres, aucun train n’a pu partir pour la France, la Belgique ou les Pays-Bas.
Si sur place beaucoup affirment ne pas avoir entendu parler des raisons qui ont mené à la grève, Lauryn, elle, l’assure : «Je n’en veux à personne.» A 22 ans, cette alternante dans le commerce et l’événementiel devait fêter Noël avec sa famille et ses amis, à Londres, grâce au train de 21h10. Les grèves, elle a plutôt l’habitude. «Il y en a souvent en Angleterre, j’ai raté plusieurs trajets à cause de ça. On se retrouve piégés et c’est toujours embêtant, mais je comprends ceux qui font grève», concède-t-elle. Debout devant les escaliers, la jeune femme pense désormais rentrer chez elle, et tenter de reprendre un train dans les prochaines heures.
Les yeux rivés sur leurs téléphones, les passagers en rade à Paris cherchent des alternatives pour essayer de franchir la Manche, faute de train en direction de Londres jeudi. Les solutions ? Réserver un autre train, un autre jour, aller à Calais et espérer y prendre un ferry, ou réserver un avion. «Le blocage du tunnel sous la Manche est inacceptable, a réagi le ministre français des Transports, Clément Beaune sur X. J’appelle chacun à la responsabilité, pour assurer la circulation et les départs en vacances dans de bonnes conditions.»
Huit heures d’attente à Nice
Téléphone rose à la main et valise rose au pied, Sarah, retraitée britannique de 78 ans discute avec ses voisins de gare : ils ne se connaissent pas mais ils échangent sur les meilleures alternatives. Sarah et sa petite-fille étaient «en train de faire du shopping de Noël aux galeries Lafayette» quand elle a reçu le SMS annonçant que son train était annulé : «J’étais paniquée. C’est juste si proche de Noël. On ne s’y attendait pas.» Son sourire est revenu : sa fille vient de réserver un vol vers Bristol vendredi pour un total de 377 livres (435 euros) pour les deux. «On a eu de la chance», estime Sarah. Vivant à Somerset, la retraitée et sa petite-fille de 14 ans «doivent rentrer à la maison» : elles ont des choses prévues demain.
Un peu en retrait, Ling, 35 ans, rafraîchit la page de la compagnie de cars à bas prix Flixbus et des comparateurs de vols. Originaire de Taiwan, où elle tient une boutique d’accessoires, elle était à Paris depuis deux semaines et devait se rendre à Londres pour y passer les fêtes avec des amis. «J’ai reçu un email vers 14 heures qui disait que le train était supprimé. Je suis venue ici pour essayer de changer mon billet, mais ils ont dit que c’était impossible de voyager aujourd’hui, peut-être demain», raconte-t-elle. Elle a bien trouvé un vol à 21 h 25 jeudi soir à «environ 200 euros» mais pour rallier Londres, l’avion passe par Nice où elle devrait attendre huit heures. Une escale non négligeable pour Ling, qui hésite et reviendra peut-être gare du Nord vendredi matin aux aurores.
«Tout était complet»
Nathalie, 50 ans, avocate franco-anglaise habituée des traversées sous la Manche, regrette surtout d’être «très mal renseignée». Elle a appris l’annulation de son train – prévu à 17 h 11 – en arrivant à la gare et veut «absolument» aller à Londres pour les fêtes, retrouver sa famille : «Mais il n’y a pas de billet classe standard jusqu’au 26. C’est très triste. Et on n’a pas l’autorisation de changer les billets au guichet.» Comme beaucoup ici, Nathalie décide finalement de rebrousser chemin, et partir vers un hôtel qu’elle a pris pour la nuit.
Sarah, 24 ans, étudiante en prothèses auditives, n’avait pas prévu de Noël anglais mais un week-end à Londres avec son fiancé, sa sœur et des amis. «On ne voit plus rien de disponible avant dimanche, le jour où on était censés revenir, lâche-t-elle. On a regardé directement, dès qu’on a reçu le SMS. Mais tout était complet.» «J’avais tout réservé et payé pour ce week-end : hôtel, activités, parc…» soupire Sarah qui préfère ne pas tout annuler tout de suite : «On a encore l’espoir de partir.»
«Résultats»
Peu après 19 h 30, les syndicats d’Eurotunnel ont annoncé lever leur grève. «Si les salariés de l’entreprise retournent à leur travail, c’est que les négociations que nous avons âprement menées au cours de la journée auprès de la direction générale ont été porteuses de résultats qui nous satisfont», ont-ils salué dans un communiqué, précisant que «l’activité de tunnel sous la Manche va reprendre ce soir».
Gare du Nord, c’est pourtant l’incertitude qui domine encore en début de soirée. «On n’a pas d’informations sur la grève», «j’ai demandé a mon chef», «c’est des fausses informations», répondent les membres du personnel. Eux estiment qu’aucun Eurostar ne devrait circuler d’ici à la fin de la journée. Surtout, ils confirment que tous les trains sont quasi complets jusqu’au 26 décembre.
Mise à jour : à 19 h 55, avec l’annonce de la fin de la grève.