Clément Beaune l’avait promis. Patrice Vergriete pensait ne pas pouvoir le faire, face à la difficulté de boucler le montage financier avec les régions. Finalement, tout le monde semble s’être mis d’accord. Le pass rail, promis pour cet été afin de permettre à 700 000 jeunes de profiter à moindre prix du réseau des Intercités et de celui des RER, devrait bien voir le jour. Le ministre délégué aux Transports Patrice Vergriete a déclaré ce mercredi 3 avril en début de soirée que «toutes les régions» étaient tombées d’accord : «La situation vient de se décanter à l’instant.»
Les trois régions (Hauts-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Normandie) avec qui achoppaient les négociations n’ont pas encore confirmé l’accord, dont on ignore encore les modalités. Contactée par Libération, la région Normandie explique qu’il s’agit d’un accord «sous conditions», et maintient ses demandes concernant la répartition des recettes liées à la vente du pass rail – dont le prix avait été annoncé autour de 49 euros – tout en acceptant de n’acter l’entrée dans le dispositif de la région Ile-de-France qu’en 2025, et pas en 2024.
Interview
Dans la matinée, le ministre avait fait monter la pression, au dernier jour des négociations pour lancer le programme – plus ou moins bien ficelé – avant l’été. «Nous ne pouvons pas être opérationnels en 2024. Il n’y aura pas de pass rail cet été. A moins d’un changement de pied des présidents de région, aujourd’hui même», avait-il mis en garde sur France Info. Selon lui, la faute incombait donc à trois présidents de région : Hervé Morin, le président centriste de Normandie, Xavier Bertrand, LR, à la tête des Hauts-de-France et Laurent Wauquiez, LR, le patron de la région Auvergne-Rhône-Alpes. «Il manque trois présidents de région», avait insisté Patrice Vergriete, disant regretter une «attitude sans explication».
Les régions rejettent la faute sur le gouvernement
Dans un communiqué publié en réaction aux propos du ministre, la région Hauts-de-France s’était dite «favorable» à la mise en place d’un pass rail, mais a regretté qu’il ait été «transformé» par le gouvernement «en un pass au rabais uniquement pour les jeunes». Toutefois, la région dirigée par Xavier Bertrand (LR) avait précisé qu’elle signerait cet accord si «deux points d’alerte sont pris en compte» : l’absence de l’Ile-de-France du dispositif – ce qui contraindra, selon le communiqué, les jeunes des Hauts-de-France à prendre un titre de transport supplémentaire pour «tout transfert vers d’autres régions» – et «la répartition du coût» d’une telle mesure. La région Hauts-de-France estimait que la «prise en charge de la perte de recettes aurait dû être assumée totalement par l’Etat».
Plus véhément, le président de la région Normandie, Hervé Morin (centriste), avait plus tard dénoncé «encore une annonce du président de la République sans concertation préalable avec les régions qui sont pourtant organisatrices des transports ferroviaires». Il déplorait notamment que les chiffrages des pertes de recettes pour la région soient «totalement improvisés et dans tous les cas ne correspondent pas aux chiffres annoncés par le ministre ce matin», ainsi que l’exclusion de la région Ile-de-France du dispositif. «S’il doit y avoir un pass rail, il doit être national et s’appliquer sur l’ensemble du réseau français et ne doit pas exclure le réseau francilien par lequel passent inexorablement la plupart des jeunes se rendant dans une autre région par le train», plaidait-il.
Enfin, la région Auvergne-Rhône-Alpes avait semble-t-il fait volte-face, selon son vice-président Frédéric Aguilera (LR), interrogé par le Dauphiné Libéré. S’il jugeait que «ces déclarations sont assez étonnantes de la part d’un ministre avec lequel la Région n’a jamais eu le moindre contact», selon lui, «il demeure que ce pass rail est une bonne initiative pour les jeunes. Mais il n’y a qu’une seule République, il est impensable que ce dispositif soit mis en place sans l’Ile-de-France». Il affirme que «la région Auvergne-Rhône-Alpes donne son accord pour expérimenter ce pass rail cette année, mais son renouvellement, dans un an, sera conditionné à la présence de l’ensemble des Régions, sans exception».
Interview
Comment expliquer que le refus de ces trois seules régions ait pu remettre en question le projet tout entier ? «Certains TER sont pris en charge par plusieurs régions donc on ne peut pas le faire si ces trois présidents sont hostiles», avait expliqué Patrice Vergriete sur France Info. «On ne peut pas faire une France en peau de léopard où ce serait possible en Occitanie et pas dans les Hauts-de-France.»
Négociations tendues et nombreuses concessions
L’accord initial des autres régions métropolitaines, nécessaire pour la mise en place du pass, avait été arraché après des négociations tendues et au prix de nombreuses concessions sur le projet initial. Les régions, qui financent les trains régionaux et décident des tarifs, avaient obtenu selon Vergiete «exactement ce qu’elle demandaient», soit «que l’Etat prenne en charge 80 % du coût» du dispositif, estimé à 15 millions d’euros. Certaines d’entre elles demandaient désormais une prise en charge totale par le public, notamment en raison des spécificités régionales du rail, la Normandie exigeant par exemple un pass rail «national». Par ailleurs, le projet avait aussi été raboté, pour n’être réservé qu’aux moins de 27 ans (et pas à tous, comme initialement annoncé), et ce, uniquement pendant la saison estivale. Selon les trois régions mises en cause, il ne s’agissait ici que de la seule décision du gouvernement.
Promise par le président Emmanuel Macron en septembre 2023, l’instauration de ce forfait mensuel doit permettre de voyager de manière illimitée sur le territoire en trains Intercités et TER. Son prix avait été estimé par Clément Beaune «autour de 49 euros», et son fonctionnement inspiré du modèle du pass ferroviaire allemand, le «Deutschlandticket». Un pass rail estival uniquement réservé aux jeunes a déjà existé en France en 2020 et 2021. Il concernait les moins de 27 ans qui, pour 29 euros par mois, pouvaient emprunter n’importe quel TER partout en France – sauf en Ile-de-France –, mais pas les Intercités.
Mise à jour : à 18h18, avec les déclarations de Patrice Vergriete sur l’accord trouvé «avec toutes les régions».