Les centaines témoignages qui s’accumulent depuis le début du mois de juillet laissent entrevoir le spectre d’un nouveau scandale dans le monde de l’automobile. Libération fait le point sur les «freinages fantômes» qui se multiplient chez les propriétaires de véhicules de récente facture.
D’abord, le scénario, raconté le 4 août par Joanna auprès de France Inter. Fin avril, cette habitante de Décines (Rhône) est au volant de sa Peugeot 208 sur l’A40 en Haute-Savoie. Aucun danger à l’horizon lorsque l’automobiliste passe à hauteur de la ville de Ceignes, dans l’Ain. Quand soudain, lancée à une vitesse d’environ 120 km/h, sa 208 se met à freiner seule, en pleine voie.
«Elle s’est arrêtée, sans action de ma part et alors qu’il n’y avait aucun obstacle devant moi. La voiture derrière est venue me percuter, et mon véhicule a fait un 180 degrés», décrit-elle. Sa Peugeot, pourtant équipée d’aide à la conduite, est également dotée d’un système d’aide au freinage. Depuis 2022, tous les véhicules neufs vendus sur le territoire européen sont obligatoirement vendus avec ce dispositif de freinage d’urgence automatique, en cas d’obstacle sur la chaussée.
Contacté par ICI, le ministère des Transports a assuré mercredi 13 août qu’«un échange a eu lieu le 7 août dernier entre [cette automobiliste] et le service de surveillance du marché des véhicules et des moteurs (SSMVM), un service rattaché au ministère des Transports».
250 témoignages récoltés en un mois
Malgré la violence du choc, Joanna s’en sort avec des hématomes et une entorse aux cervicales. Auditionnée par la gendarmerie, elle n’obtient pas de la justice l’expertise de son véhicule, bon pour la casse.
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Après cette embardée, la jeune femme souhaite savoir si d’autres personnes ont été victimes d’un tel dysfonctionnement. Un groupe Facebook, «Collectif freinages fantômes automobiles» voit le jour. Joanna récolte ainsi plus de 250 témoignages en moins d’un mois. Plusieurs marques sont concernées (Volkswagen, Audi, Renault, Tesla…) et les avaries relatées par les conducteurs s’étalent sur les quatre dernières années, allant du «petit incident» jusqu’à «l’accident mortel».
En décembre 2023, sur l’autoroute A7 dans la Drôme, une conductrice prénommée Aurélie dépeint auprès de ICI le drame dont elle a été victime avec son assistante. «La voiture a freiné subitement, alors que j’étais en train d’accélérer. En quelques secondes, on est passé de 130 km/h, à l’arrêt. On a été percutées par l’arrière. Ma passagère est décédée, je suis tombée dans le coma». Expertisée trois fois, sa voiture de marque Skoda ne révèle aucune défaillance. Jugée en mai dernier, Aurélie a été condamnée début juillet à de la prison avec sursis pour homicide involontaire.
«Les ceintures nous ont plaqués à notre siège»
Jointe par Libé, Magali, 56 ans, est propriétaire d’une Skoda neuve depuis fin juin. Ce vendredi, elle et son mari Pascal roulent en direction de Vannes sur une route départementale, tranquille. Sans prévenir, la voiture décélère au milieu de la route et s’arrête. «Pascal a redémarré. Heureusement que la voiture derrière nous ne nous collait pas», raconte Magali à Libération. Ce n’est pas un hasard. Depuis un mois, le couple ne parvient pas à dompter le véhicule. A plusieurs reprises, leur Skoda a freiné de tout go, sans qu’on lui ordonne. Leur première fois, c’était il y a moins d’un mois. Mi-juillet, direction les vacances et la Normandie. La Skoda de Pascal et Magali file comme le vent sur l’autoroute. Puis freine d’un coup. «Les ceintures nous ont plaqués à notre siège, les voyants se sont allumés, ça clignotait et ça faisait «bip-bip» dans l’habitacle. On a eu peur que quelqu’un derrière nous emplafonne», se souvient Magali.
L’automobiliste tente alors de trouver une explication. «Il y avait un peu de monde devant nous, peut-être que la voiture a pris peur». Rebelote quelques jours plus tard, toujours sur l’autoroute, à vive allure. «Franchement, cette fois, j’étais complètement seule sur la voie, personne devant. La voiture a subitement ralenti très fort», se rappelle-t-elle.
«On a des voitures neuves qui sont censées être dotées de système de sécurité, mais finalement c’est plus dangereux que sans assistance», remarque l’automobiliste, qui craint une affaire similaire à celle des airbags défectueux Takata. Et de s’interroger : «Comment être pris en charge en cas d’accident ou pire, de décès ?» Ces airbags défectueux qui explosent ont déjà fait 18 morts et 25 blessés. Le scandale touche une trentaine de constructeurs automobiles.
Après leur dernière mésaventure, le couple a contacté l’assistance Skoda. Réponse : «si ça recommence, appelez un dépanneur». Pas vraiment rassurant.
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Face aux divers témoignages de freinages fantômes compilés, les constructeurs bottent en touche et assurent au Parisien ne pas avoir détecté d’anomalie du système au cours d’analyse de véhicules accidentés. Selon certains garagistes ce type d’incident peut parfois s’expliquer par un phénomène de «défaut de caméra», un «problème électronique» ou encore une «défaillance de l’ABS».
Le ministère des Transports a assuré cette semaine que plusieurs cas lui ont été directement remontés et que ses services allaient «interroger les constructeurs et procéder à la réalisation d’essais.» Et savoir s’il y a «anomalie» ou non.
Mise à jour à 18 h 30 avec un nouvel incident survenu ce vendredi avec le véhicule de notre témoin, Magali