L’accident, survenu le lendemain des attentats du 13 novembre 2015 commis à Paris, était passé relativement inaperçu. Pourtant, ce drame demeure la pire catastrophe de l’histoire du TGV, avec 11 morts et 42 blessés, alors qu’un train faisait une session d’essais sur la ligne à grande vitesse (LGV) entre Paris et Strasbourg avait déraillé à Eckwersheim (Bas-Rhin). Ce jeudi 10 octobre, le tribunal correctionnel de Paris a déclaré la SNCF coupable d’«homicides et blessures involontaires» et l’a condamné à une amende de 400 000 euros.
Comme la SNCF, cinq des six autres prévenus ont aussi été reconnus coupables pour «homicides et blessures involontaires par maladresse, imprudence, négligence ou manquement à une obligation de sécurité». La société d’ingénierie Systra, chargée des essais, qui «porte la responsabilité la plus importante» dans l’accident, a écopé quant à elle à une amende de 225 000 euros. SNCF Réseau (chargée de la gestion des voies) a été condamnée à une amende de 150 000 euros.
Parmi les trois personnes physiques, jugées par le tribunal, le conducteur du TGV accidenté, Denis T. - absent à l’audience -, a été condamné à sept mois de prison avec sursis tandis que son collègue Francis L. - également absent à l’audience -, qui était chargé d’indiquer les points de freinage au conducteur, a écopé d’une peine de quinze mois de prison avec sursis. Philippe B., un agent de Systra chargé de signaler au conducteur les particularités de la voie, a été pour sa part relaxé.
Décryptage
Le TGV, qui effectuait des tests sur l’ultime portion de la ligne à grande vitesse (LGV) Paris-Strasbourg avant son ouverture au public, avait abordé une courbe à 265 km/h, très largement au-dessus des 176 km/h prévus à cet endroit, en raison d’un point de freinage trop tardif. Il avait déraillé, heurtant le parapet du pont au-dessus du canal de la Marne au Rhin à la hauteur d’Eckwersheim, à 20 kilomètres de Strasbourg, à une vitesse estimée de 243 km/h. L’enquête a établi que ni le matériel ni la voie ne pouvaient être mis en cause pour expliquer le déraillement du TGV qui transportait 53 personnes, dont 35 «invités».
Lors du procès, au printemps, le parquet avait dénoncé «un aveuglement collectif» dans la conduite des essais en survitesse et une série de décisions «absurdes». Le procureur Nicolas Hennebelle avait requis la condamnation de cinq des six prévenus, dont la SNCF, SNCF Réseau (chargé de la gestion des voies) et Systra. Selon lui, ces trois entités n’avaient pas correctement évalué les risques. Le procureur avait aussi réclamé de fortes amendes : 225 000 euros, soit le maximum légal encouru, contre Systra qui «porte la responsabilité la plus importante» et 200 000 et 150 000 euros à l’encontre de la SNCF et SNCF Réseau, multipliés par deux en raison de l’état de récidive légale de ces deux entités, soit respectivement 400 000 et 300 000 euros.
Face à «la souffrance des victimes» et à «la douleur indicible» d’avoir perdu un proche, les peines requises «n’ont qu’un aspect symbolique», avait admis le procureur, avant d’ajouter «regretter que le maximum légal ne soit pas à la hauteur».
«Total manque de rigueur»
Le représentant du parquet avait également requis un an d’emprisonnement avec sursis contre le conducteur du TGV, Denis T., et deux ans avec sursis contre son collègue chargé de lui indiquer les points de freinage, Francis L., dont il a fustigé «le total manque de rigueur».
En revanche, le procureur avait demandé la relaxe pour un troisième homme présent dans la cabine de pilotage au moment de l’accident : Philippe B., un agent de Systra chargé de signaler au conducteur les particularités de la voie, estimant qu’il n’avait joué aucun rôle dans la détermination des points de freinage.
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«Nous espérons que le tribunal […] exposera clairement la culpabilité des sociétés ferroviaires mais aussi des hommes qui étaient aux commandes et qui ont fauté, tant l’accident s’est révélé être la conséquence d’une somme d’erreurs, de fautes d’organisation et de conduite», avait déclaré Gérard Chemla, avocat d’une cinquantaine de parties civiles. «Pendant plus de deux mois [le temps du procès, ndlr], nous avons pu mesurer les incohérences, les désorganisations et les limites des organisations de ces grandes sociétés qui n’ont fait que se renvoyer la balle», avait-il souligné.
Durant les neuf semaines de procès, les mis en cause n’avaient cessé de se renvoyer la faute, sans reconnaître leur propre responsabilité. «On a été mauvais», avait concédé le représentant de la SNCF durant l’audience. Avant d’ajouter aussitôt : «Mais pas mauvais sur tout». Un déni systématique qui avait exaspéré endeuillés et rescapés.