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Libération
Interview

«Si on ne s’oriente pas vers des véhicules plus légers, la voiture électrique aura du mal à se démocratiser»

Le nombre de voitures neuves vendues en France n’a jamais été aussi bas depuis 1975. De bon augure pour la transition énergétique du secteur automobile ? Le chercheur sur la transition énergétique des transports Aurélien Bigo est plus mesuré.
En mai 2020 chez un vendeur de voitures Renault à Paris. (Yann Castanier/Hans Lucas)
par Corentin Chabot
publié le 15 janvier 2023 à 8h45

Avec 1,53 million de voitures neuves vendues en France en 2022, soit 8 % de moins que l’année précédente, la chute du marché automobile continue selon les chiffres de l’association des constructeurs. Depuis 2020, le nombre de distribution de plaques d’immatriculation ne cesse de s’effondrer. Si la crise sanitaire est le principal facteur, avec une baisse de 25 % des ventes en 2020 par rapport à 2019, elle n’est pas la seule cause des mauvais résultats de cette année. Au contraire du trafic aérien, le marché de l’automobile n’a pas connu le rebond de sortie de crise espéré. Jamais depuis 1976, les ventes n’ont été aussi basses. Ce n’est pas pour autant bon signe pour l’environnement. Quatre questions à Aurélien Bigo, ingénieur en géologie diplômé d’un master en économie de l’environnement. Il a réalisé sa thèse sur le sujet «Les transports face au défi de la transition énergétique».

Le cabinet d’études spécialisé AAA data parle d’un «tournant historique», pourquoi ?

Difficile de savoir si ce tournant sera durable ou pas. Le tournant, s’il y en a un, a eu lieu avant 2022. Par cette expression, AAA data indique que potentiellement cette tendance pourrait continuer dans les années à venir, notamment en 2023, où le relâchement de certaines contraintes n’est pas prévu. C’est un changement conjoncturel et plutôt tourné du côté de l’offre. Pour autant, la demande est toujours importante. Ce n’est pas un signe de pratiques plus durables, mais plutôt de contraintes du côté de l’offre. Si l’offre se libère, potentiellement les ventes pourront repartir à la hausse.

Il y a plusieurs contraintes, comme la pénurie de certains composants électroniques, les retards de livraison et la guerre en Ukraine. La hausse du coût des matières premières a aussi entraîné la hausse des prix des véhicules. Et en toile de fond, il y a la stratégie des constructeurs qui est d’aller vers des véhicules plus chers sur lesquels ils font plus de marge, ce qui peut aussi jouer sur la demande des consommateurs. Les véhicules sont donc moins accessibles.

Alors que la vente de véhicules électriques est en nette augmentation, cette nouvelle stratégie des constructeurs n’est donc pas une bonne nouvelle…

Si les constructeurs ne se tournent pas vers des véhicules plus légers, plus sobres et adaptés au trajet du quotidien – tout le contraire des SUV actuels – la voiture électrique aura du mal à se démocratiser. Cela permettrait d’avoir des prix d’achat moins élevés pour les usagers. Une voiture électrique d’une tonne est vendue aux alentours des 20 000 euros quand une autre de deux tonnes est vendue 50 000 euros. Il serait plus vertueux de dimensionner les véhicules électriques pour les trajets du quotidien. Il faut une diversité de véhicules bien sûr, mais le marché a tendance à s’orienter vers des véhicules gros et lourds, alors qu’il y a besoin d’en proposer des plus abordables. Même si en 2022, il y a eu 13,3 % de ventes de voitures électriques, l’immense majorité reste, au moins en partie, thermique.

La transition énergétique peut-elle sortir gagnante de cette crise ?

Oui en partie, certains éléments vont potentiellement dans le bon sens. Le fait qu’il y ait moins de constructions en volume fait qu’il y a moins d’émissions à la construction. Ce n’est pas négligeable. Un véhicule neuf à vendre, c’est de l’ordre de cinq à dix tonnes d’équivalent CO2. Une baisse des ventes de 400 000 à 500 000 véhicules, ça représente 2,5 millions à 5 millions de tonnes d’équivalent CO2 en moins. Ce sont des baisses qui sont loin d’être négligeables et que nous n’arrivons pas à obtenir de manière suffisamment rapide du côté des émissions à l’usage.

La baisse du nombre de véhicules vendus vient aussi retarder le renouvellement du parc automobile. Actuellement, le parc n’est pas du tout aligné avec nos objectifs climatiques. Il a besoin d’être renouvelé vers des véhicules plus vertueux, davantage électriques et plus sobres. Ce renouvellement est trop lent. Sur l’année 2022, le nombre de véhicules neufs vendus représente l’équivalent de 4 % du parc. Si on garde un parc constant de véhicules à l’avenir, avec un renouvellement de 4 % chaque année, il nous faudrait vingt-cinq ans pour réussir à renouveler l’ensemble du parc. Pour qu’il soit 100 % électrique en 2050, qu’il n’émette plus de gaz à effets de serre (GES) et ne consomme plus de pétrole, il faudrait arrêter les ventes de voitures thermiques au plus tard en 2025. C’est un objectif impossible à atteindre.

Quelles seraient les solutions ?

Il faudrait que les constructeurs européens se tournent de nouveaux vers des véhicules plus sobres ou de petite taille. Sans quoi, la Chine pourrait réussir à prendre ce marché. Ce qui montrerait la stratégie très court-termiste de constructeurs européens qui pourraient potentiellement se faire prendre de court sur ce type de véhicule. La baisse des ventes de véhicules lourds et thermiques neufs peut être positive, à court terme, en attendant qu’il y ait plus de capacités de production pour des véhicules électrifiés plus légers. Mais ça, c’est un scénario favorable. Et ce n’est pas celui que nous vivons aujourd’hui.