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Inflation

Vente à perte de carburant : pourquoi Total et la grande distribution n’en veulent pas

Le producteur Total Energies et la plupart des enseignes de la grande distribution ont annoncé qu’ils ne mettraient pas en œuvre cette pratique que le gouvernement entend légaliser pour une période de six mois.
La raffinerie Total Energies à Donges (Loire-Atlantique). (Loic Venance/AFP)
publié le 20 septembre 2023 à 13h44

Si ce n’est pas du bashing, ça y ressemble bigrement. Samedi, Elisabeth Borne évoquait la possibilité de vendre du carburant à perte, de manière à compenser la flambée des prix des produits énergétiques. Quatre jours plus tard, la mesure fait l’unanimité contre elle. L’estocade est venue des quatre plus grandes enseignes de la distribution. Invités à s’exprimer devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, ce mercredi 20 septembre, les dirigeants de ces entreprises ont clairement annoncé qu’ils se refusent cette pratique.

Thierry Cotillard, président du groupement Intermarché, a été on ne peut plus clair sur la question : «On ne va pas utiliser cette possibilité et si nous le faisions, nous augmenterions le prix d’autres produits, nous ne sommes pas cinglés». Dominique Schelcher, président de Système U, renchérit quelques minutes plus tard : «Il n’y a pas de raison économique. Il ne sera pas possible de faire des ventes à perte.» Même tonalité pour Alexandre Bompard, le patron de Carrefour : «Si je me mets à vendre à perte, je fragilise un équilibre. Notre modèle ne nous le permet pas.» Une unanimité qui a inspiré cette conclusion légèrement désabusée au président de la commission des affaires économiques, le député Renaissance Guillaume Kasbarian : «Aucun d’entre vous ne se saisirait de ce dispositif s’il existait.»

«C’est un effort important»

Plus tôt, Patrick Pouyanné, PDG de Total Energies, clouait lui aussi au pilori toute idée de ce type : «1,99 euro [le litre] c’est un plafond, je ne descendrai pas plus bas […] C’est un effort important», a-t-il lâché au micro de l’émission Quotidien sur TMC. Face à ce front assez unanime, le ministre du Budget, Thomas Cazenave, tente de sauver comme il peut cette idée : «Ce que l’on veut c’est permettre à ceux qui peuvent le faire de le faire : opérations coup de poing, plafonnement, et pour ceux qui le veulent, vente à perte», a indiqué le ministre avant d’ajouter : «On maintient la mesure.» «Chacun doit et peut faire un effort», a aussi déclaré le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, face à la presse après le Conseil des ministres. Si le gouvernement ne fait pas machine arrière, un projet de loi devrait être présenté d’ici à la fin du mois de septembre.

D’ici là, le ministère de l’Economie doit également calmer l’inquiétude des gérants de stations-service indépendantes (2 400 sur un total de 11 000). Le principe d’un fonds de compensation a donc été acté par Bercy. Il prendra en charge le manque à gagner pour les stations-service qui pourraient voir leur chiffre d’affaires baisser, au cas où les super et hypermarchés se mettent à casser le prix de l’essence, ce qui, pour l’heure, est plus improbable que jamais.

«Taxer les super profits»

Au bout du compte, l’opération lancée par le gouvernement n’est pas vraiment un succès. La vente de carburant à perte imaginée pour remplacer le bouclier énergétique, coûteux pour les caisses de l’Etat, est unanimement décriée et ne pourra être imposée aux distributeurs. Néanmoins, l’Etat a déjà accepté d’ouvrir son carnet de chèques pour compenser les éventuelles pertes des stations-service les plus fragiles. Enfin, à la différence du chèque énergie qui était conçu pour les revenus les plus modestes, cette mesure de vente à perte bénéficierait à tous les consommateurs et mécaniquement aux utilisateurs des véhicules les plus gourmands en carburant. Ce qui a déclenché les critiques d’EE-LV qui souhaite «taxer les super profits de Total Energies» et attribuer «un chèque carburant en faveur de celles et ceux qui en ont le plus besoin». L’idée de vente à perte commence visiblement à se payer au prix fort pour le gouvernement.