Le sigle ASN n’a pas encore été changé sur le fronton du 15, rue Lejeune, à Montrouge (Hauts-de-Seine), où siège la nouvelle Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) voulue par Emmanuel Macron pour «accélérer» le chantier du «nouveau nucléaire». Mais mardi 28 janvier au matin, pour les vœux à la presse du gendarme de l’atome, le nouveau logo de l’ASNR trônait bien en évidence au-dessus de Pierre-Marie Abadie, son premier président nommé par décret pour piloter la fusion entre l’ancienne Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et son bras armé technique, feu l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
Le logo en question ? Un noyau d’atome bleu à demi englobé par un demi-cercle rayonnant… comme une métaphore de l’absorption de l’ancien expert indépendant de la sûreté nucléaire par l’Autorité de sûreté elle-même. Combattue jusqu’au bout par les salariés de l’IRSN soutenus par la gauche au Parlement, cette annexion a laissé des traces : à la veille de la disparition de leur institut et de la création officielle de l’ASNR, le 1er janvier, l’intersyndicale de l’IRSN faisait encore part de ses «inquiétudes» concernant le fonctionnement de la nouvelle autorité et dénonçait «un immense gâchis»…
«Censure et autocensure»
Jusqu’ici directeur général de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, Pierre-Marie Abadie a tenu à rassurer ses ouailles, quelque 2 000 salariés, scientifiques, ingénieurs et techniciens venus des deux maisons, en proclamant «l’an 1 de l’ASNR», «l’une des plus importantes autorités de sûreté nucléaire au monde par la taille» qui sera selon lui «encore plus forte et plus indépendante» en «mettant l’expertise au service de la décision». Exit donc l’organisation «duale» qui prévalait dans la sûreté nucléaire française : l’IRSN était jusqu’ici chargée d’inspecter les installations nucléaires françaises, à sa propre initiative ou sur saisine de l’ASN, et rendait ses rapports en toute indépendance à l’Autorité de sûreté qui, ensuite, publiait des avis contraignants pour les exploitants nucléaires comme EDF ou Orano (ex-Areva).
Enquête
C’est pour simplifier cette organisation, et dans l’idée d’accélérer les processus d’autorisation délivrés à EDF pour construire ses six premiers réacteurs EPR 2 à Penly (Seine-Maritime), Gravelines (Nord) et au Bugey (Ain) qu’Emmanuel Macron a décidé unilatéralement en 2023, lors d’un conseil de politique nucléaire à l’Elysée, que l’ASN et l’IRSN ne feraient plus qu’un, créant la stupeur chez les experts de la sûreté. Ces derniers ont alerté sur le risque d’une perte d’indépendance dans leur travail et de voir la sûreté assujettie à des objectifs industriels. Même inquiétude chez les antinucléaires qui craignent, à l’image de l’association Sortir du nucléaire, que la fusion aboutisse à des «pratiques de censure et d’autocensure».
«Risques» industriels et financiers des EPR 2
En opération déminage, Pierre-Marie Abadie a donc tenu à dissiper les doutes sur la nouvelle autorité : non, l’ASNR n’est pas une usine à gaz dont les débuts pourraient nuire à la sûreté des centrales s’ils sont chaotiques, elle est «opérationnelle dans toutes ses dimensions» ; oui, l’ASNR est plus que jamais «une autorité indépendante qui place la culture de sûreté et la transparence au centre de ses missions». Parole d’X-Mines. Abadie a promis qu’elle veillerait «aux signaux faibles» des lanceurs d’alerte. Du genre de ceux qui ont conduit le gendarme du nucléaire à pointer du doigt 43 «contrefaçons, falsifications et suspicions de fraude» dans l’industrie de l’atome et à en signaler dix à la justice en 2023, et 78 l’an dernier, avec cette fois trois dossiers judiciarisés. Reste à savoir si le budget de fonctionnement de l’ASNR, initialement réduit 37 millions pour s’établir à 360 millions d’euros en 2025, ne souffrira pas de nouvelles coupes dans le projet de loi de finances. «Il permettra à l’ASNR de remplir toutes ses missions», a assuré son président.
Interrogé sur ses priorités pour 2025, Pierre-Marie Abadie a évoqué rapidement la situation «parfois problématique» de la radioprotection en milieu hospitalier par défaut d’organisation, de formation ou de moyens dans certains établissements. Mais c’est évidemment «les enjeux de sûreté du parc électronucléaire» qui va concentrer le gros de l’énergie de l’autorité, après la fameuse crise de la corrosion sous contrainte, qui a mis à l’arrêt une vingtaine de réacteurs pendant des mois en 2022-2023 et mis en péril la réputation et la santé financière d’EDF. Tout en saluant «les efforts d’EDF» pour réparer des kilomètres de tuyauteries corrodées, il a insisté sur «le défi industriel et les enjeux de sûreté» qui attendent le groupe, avec la construction de six EPR d’ici 2040, en soulignant qu’«un projet qui se déroule bien, c’est bon pour la sûreté». Un avertissement plus affable que celui de la Cour des comptes, qui a récemment alerté sur «les risques» industriels et financiers du chantier des EPR 2. Pas question pour la haute juridiction d’assister aux mêmes errements qui ont transformé en fiasco le chantier de l’EPR de Flamanville, dans la Manche, finalement entré en service en septembre...mais déjà l’objet de « 50 événements significatifs de sureté » sa mise en route, a révélé l’ASNR. Des anomalies sans conséquence sur les personnes et l’environnement, a toutefois précisé le gendarme du nuléaire.
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Pierre-Marie Abadie s’est aussi donné pour objectif d’avancer sur l’instruction de la prolongation de la durée de vie des réacteurs actuels à 50 ans voire 60 ans, et sur celle des futures installations de retraitement et d’entreposage de déchets radioactifs à la Hague, à la pointe du Cotentin. Le nouveau gendarme du nucléaire s’est voulu rassurant sur «la saturation» des installations actuelles qui n’interviendrait «qu’en 2040». Le temps pour Orano de construire la nouvelle piscine centralisée devant accueillir les futurs combustibles usés recrachés par les centrales EDF.