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30 ans, 30 portraits

Mark Zuckerberg, ami parcours

30 ans, 30 portraitsdossier
A 24 ans, cet ancien de Harvard pèse 1,5 milliard de dollars grâce à Facebook, le webréseau communau­taire qu’il a cofondé en 2004.
Mark Zuckerberg en novembre 2008. (Jérôme Bonnet/Libération)
par Cordélia Bonal
publié le 27 novembre 2008 à 17h01
(mis à jour le 15 décembre 2024 à 9h01)

1994-2024. Les portraits de der de «Libé» célèbrent leurs 30 ans au fil d’un calendrier de l’avent un peu spécial : 30 ans, 30 portraits. A cette occasion, nous vous proposons chaque jour de décembre, de rédécouvrir un de ces portraits (et ses coulisses), balayant ces trois décennies, année par année. Aujourd’hui, une rencontre en 2008 avec le fondateur de Facebook, encore à ses débuts.

Il a un goût immodéré pour les ordinateurs, une collection visiblement inépuisable de tee-shirts-jeans-baskets, un petit appartement avec matelas à même le sol, le teint pâle et 672 amis sur Facebook. Le geek lambda, en somme. Et «fier de l’être» , étant entendu qu’il définit un geek comme «quelqu’un d’introverti mais qui aime créer des choses» . Sauf que ce geek-là a réussi le plus beau coup d’Internet de ces dernières années en fondant Facebook, 120 millions d’utilisateurs, 700 salariés et une valeur estimée à 15 milliards de dollars (11,6 milliards d’euros) lors de l’entrée de Microsoft au capital, il y a un an. Ce qui fait de Mark Zuckerberg, 24 ans, le benjamin du classement Forbes 2008 des plus grosses fortunes de la planète avec, sur le papier, 1,5 milliard de dollars (1,16 milliard d’euros). Pas mal, même si, crise oblige, certains objectifs comme l’entrée en Bourse de Facebook sont remis à des temps meilleurs.

On le retrouve dans la suite d’un grand hôtel parisien, à mi-course d’un marathon médiatique Allemagne-France-Angleterre-Espagne. Objectif : «Aller à la rencontre des utilisateurs européens» et annoncer l’ouverture prochaine d’un bureau Facebook en France (4,1 millions d’utilisateurs). «C’est pas un bavard, il déteste les interviews» , nous avaient prévenus des confrères. Ça n’est pas faux, mais pas tout à fait vrai non plus. Tant que l’on case «Facebook» dans la question, il répond sans se faire prier. Souriant, le débit rapide et le discours bien rodé, avec une nette prédilection pour les expressions-slogans comme «partager l’information» , «construire un monde meilleur» , «rapprocher les gens» «connecting people» , pas de chance, c’est déjà pris. Mais que l’on s’aventure à sortir du discours d’entreprise, il se referme comme une huître.

Au petit jeu de l’exposition-dissimulation, clé du succès de Facebook (n’afficher sur son profil que ce que l’on veut bien montrer de soi, cacher le reste), Mark Zuckerberg est très fort. On ne saura donc ni combien il gagne ( «Pas tant que ça» ), ni s’il possède bien 20 % des parts du groupe, ni ce qu’il fait quand il ne travaille pas (d’ailleurs il «travaille tout le temps» ), encore moins ce qu’il vote. Tout juste apprendra-t-on qu’il joue au Scrabble avec sa grand-mère et que, côté musique, il «aime bien la house allemande» . Reste ce que le réseau dit de lui : «Fils de dentiste» , «famille juive américaine» (Wikipédia), «Mark a étudié l’informatique à l’université de Harvard» (le blog Facebook).

A croire qu’il est né en 2004 avec Facebook. Son état civil remonte pourtant à 1984. Naissance à à Dobbs Ferry, banlieue plutôt chic de New York. Père dentiste, donc, et mère psychiatre. Trois sœurs, dont l’aînée travaille chez Facebook. On lui demande quel genre d’enfant il était, il répond : «Du genre qui aime les ordinateurs» . A 12 ans, la première machine. Petit génie de la programmation, il entame des études en informatique, mais aussi en psychologie, les deux ingrédients du futur réseau communautaire qu’il a en tête depuis le lycée. Débrouillard avec ce qu’il faut d’ambition et de sens du business, il reste deux ans à Harvard, le temps de pirater le système informatique de la fac pour balancer sur le Net les photos des étudiants. Le temps surtout de lancer Facebook depuis sa chambre sur le campus, avec deux de ses colocs : Dustin Moskovitz et Chris Hughes – lequel a depuis quitté le navire pour s’en aller développer le très interactif site de campagne d’Obama.

Le microcosme universitaire, terrain d’expérimentation idéal pour sa plateforme communautaire, réagit au-delà de ses espérances à l’aiguillon Facebook. Le réseau sort des murs de Harvard pour s’étendre à Stanford, Yale, Columbia. Test réussi, le nouvel apôtre du village global, version 2.0, peut passer à l’échelle supérieure. Il quitte la fac avec girlfriend et colocs pour prendre ses quartiers à Palo Alto, Californie. La Mecque des sciences de la communication, une Silicon Valley dans la Silicon Valley. Sept bâtiments Facebook y ont vu le jour. Ambiance «très informelle» , comme chez le grand frère Google. Ici, Mac et PC cohabitent dans une parfaite entente, et la cravate n’est de mise que le vendredi pour le Corporate Friday, sorte d’anti- Friday Wear. Le jeune PDG y passe ses jours et parfois ses nuits, une main dans le cambouis de la programmation, l’autre au pilotage de la stratégie du groupe.

Hollywood n’a pas tardé à flairer le scénario en or dans ce parcours comme n’osent plus en rêver les Américains en ces temps de crise. La rumeur dit le film déjà en préparation. «Rien n’est encore décidé» , élude Zuckerberg, sans démentir non plus.

A chaque success story ses zones d’ombre, la sienne n’y échappe pas. De quoi étoffer la tension dramatique du scénario. D’abord, cette histoire de plagiat dont l’ont accusé les trois fondateurs de ConnectU, autre réseau social. A Harvard, Zuckerberg leur a donné un coup de main sur leur projet. Le trio l’accuse d’avoir volé leur idée. Il s’en défend : «C’est faux, ils travaillaient sur quelque chose de différent. L’affaire est close.» Après quatre ans de procès, les plaignants auraient retiré leurs poursuites moyennant un dédommagement dont le montant n’a jamais été divulgué. Deuxième faux pas : l’affaire Beacon, du nom d’une application lancée en 2007 qui permet aux sites partenaires, notamment de vente en ligne, de transmettre des informations à Facebook (vous achetez un cadeau sur eBay, tous vos «amis», dont le destinataire, sont au courant). Hurlements dans la communauté, pétition, Mark Zuckerberg doit faire machine arrière. «On a fait du mauvais boulot avec Beacon et on s’en excuse» , écrit-il dans l’un de ses rares posts sur le blog maison. Depuis, Beacon suppose l’accord préalable de l’utilisateur.

Loin d’être close, la controverse sur les données personnelles se focalise sur Facebook Ads, l’outil qui «aide les marques à faire partie des conversations quotidiennes qui se produisent entre les membres» . Les profils sont accessibles aux annonceurs, qui bombardent leurs cibles en conséquence. Une mine d’or pour les entreprises. «La publicité ciblée peut être très utile pour les utilisateurs» , se défend le plus sérieusement du monde Zuckerberg. Avant de lâcher : «Et puis on a ­besoin d’argent.»

Les médias américains le présentent comme le nouveau Bill Gates ou le nouveau Steve Jobs, fondateurs respectifs de Microsoft et d’Apple. Il préférerait être «le nouveau Mark Zuckerberg» . Seul mentor avoué, Donald Graham, le directeur du Washington Post. Parce qu’il «voit les choses vingt ans à l’avance» . Comme lui, qui voit grand et loin pour son bébé. «Les gens auront toujours besoin de communiquer, de partager toujours plus d’informations. Facebook est aujourd’hui le mieux placé pour leur apporter ça, et je pense qu’il va continuer à l’être.» Il a 24 ans et veut «changer le monde». Pour ce qui est du monde virtuel, il a plutôt réussi son coup.

Mark Zuckerberg en 5 dates. 14 mai 1984 Naissance à Dobbs Ferry, au nord de New York. 2002 Intègre Harvard. Février 2004 Lance Facebook. Eté 2004 Déménage à Palo Alto (Californie). 2008 Entre au classement Forbes des plus grandes fortunes.

Making-of: «La rencontre n'a pas vraiment eu lieu»

Elle n’avait aucune raison de se trouver face à Mark Zuckerberg. D’ailleurs, elle n’était pas inscrite sur Facebook, et ne l’est toujours pas à ce jour. Pourtant, en 2008, Cordélia Bonal, alors «rédactrice tout terrain» pour le site internet de «Libération» a écopé d’un portrait du fondateur de Facebook, un peu par hasard et en dernière minute, pour remplacer le spécialiste éco et nouvelles technologies à la suite d’un empêchement. Facebook, lancé en 2004, n’a alors pas encore fait son entrée en Bourse, mais compte tout de même déjà environ quatre millions d’utilisateurs français, contre près de dix fois plus aujourd’hui (35 millions). Au niveau mondial, c’était déjà 120 millions d’inscrits, et trois milliards aujourd’hui. «Je ne maîtrisais pas ce domaine, donc j’en percevais mal les enjeux. Je n’étais pas du tout geek, et je n’aimais pas les réseaux sociaux, se souvient-elle. Je voyais qui était Zuckerberg, mais je n’avais pas tellement conscience de son poids.» Il était également difficile de préjuger du «poids politique déterminant» que Facebook, aujourd’hui Meta, allait prendre à l’avenir. Qu’importe, la journaliste mise tout sur la rencontre, dont elle espérait «un échange, une forme de vérité»: «Mais elle n’a pas vraiment eu lieu. On avait rendez-vous dans un hôtel chic, dans une toute petite pièce. Assez vite, je m’aperçois qu’il est entouré d’une armada de gens.» Surtout, Zuckerberg se montre «très lisse, très verrouillé, manifestant zéro affect», au point de faire l’effet à la journaliste d’une «intelligence artificielle sur pattes».