En ces années 90 du siècle dernier, je travaillais à Libération comme rédacteur au service Culture. Malgré la modicité de ma qualification, je voyageais beaucoup. Je n'allais pas sur les champs de bataille, plutôt sur les tournages de films. Au Sénégal, pour voir travailler Ousmane Sembene, dans les rizières du Cambodge tremper mes pas dans ceux de Rithy Panh, à Rome essayer d'interviewer Fellini…
De temps en temps, le service Livres me demandait de voler vers le Pérou pour suivre Mario Vargas Llosa, qui n’était pas encore prix Nobel mais déjà écrivain star et ci-devant candidat à la présidence de son pays. A Abidjan, pour croiser le regard absent d’un Hamadou Hampâté Bâ en train de disparaître ; à Boston, manger un steak avec Dennis Lehane, de retour d’une patrouille avec la police locale…
Libération était ce qu'il devait être, un journal d'enquêtes et de reportages et cela me convenait.
J’étais un privilégié. Mal payé, je ne faisais cependant quasiment que ce qui me passionnait… Cela ne m’empêchait pas, à chaque crise - et il y en eut dans ce journal -, de pester comme un enfant gâté contre la «nouvelle formule», contre tel choix de une, contre telle nomination à la rédaction en chef, ou contre certains engagements de la direction. Avec plus ou moins d’à-propos, de bonne foi et toujours avec un total manque d’efficacité.
Alors certains soirs, de légère déprime, j'imaginais avec une copine, Claire, une chef d'édition émérite du journal, un autre environnement.