«Nous sommes un journal !» disait la une qui sert maintenant de surtitre pour l'abondant courrier suscité par le conflit ouvert entre Libération et ses propriétaires. Mais qu'est-ce qu'un journal ? Il est clair que certaines réponses doivent être exclues comme insuffisantes ou indignes, bien qu'elles correspondent à des projets et à des tendances (un journal n'est pas un grand tweet, ce n'est pas le relevé des évaluations des agences de notation, ce n'est pas le dépotoir des insinuations sur la vie privée des «people», ce n'est pas un logo «monétisable» pour organiser des rencontres et les répercuter sur les réseaux sociaux…), mais il n'en ressort pas pour autant une notion simple, positive, qu'on puisse aussitôt convertir en stratégie éditoriale.
En tant que lecteur assidu, je livre trois éléments de réflexion (dont je n’ai pas l’exclusivité).
D'abord un journal est un rythme cognitif, ou c'est un instrument permettant de rythmer l'information, donc de lui conférer cette intelligibilité et cette historicité quotidiennes qui conditionnent le jugement. Moquons-nous, bien sûr, de la déclaration attribuée à Hegel : «La lecture du journal est la prière du matin du philosophe», citation éculée, élitiste autant que désuète. Mais ne rejetons pas le grain de vérité qu'elle contient. La lecture du journal peut n'être qu'un rituel comme le café au lait, mais c'est aussi la façon la plus simple, régulière et fréquente, d'articuler nos