Rewind. Juin 2013 : la fuite de documents confidentiels dévoile l’ampleur de la surveillance internationale en ligne menée en particulier par la NSA, l’agence nationale de la sécurité aux Etats-Unis. Ces révélations, orchestrées par le journaliste Glenn Greenwald et le lanceur d’alerte Edward Snowden, provoquent une réaction en chaîne du côté de la Silicon Valley. L’enjeu est de taille pour les géants d’Internet aux réputations écornées par l’affaire : redonner confiance aux millions d’utilisateurs de clients de mail, de messageries instantanées et autres réseaux sociaux. C’est à qui proposera la solution de chiffrement la plus efficace, à qui garantira l’anonymat des échanges, bref, à qui rassurera au plus vite les internautes des actions menées pour contrer Big Brother.
Facebook, le réseau social au 1,35 milliard de membres actifs chaque mois, n’a ainsi pas tardé à muscler le cryptage des données transitant via ses serveurs, généralisant des mesures de sécurités similaires à celles des transactions bancaires. Pas de quoi transformer en forteresse imprenable les profils de ses utilisateurs, mais assez pour compliquer (un peu) la tâche des grandes oreilles de la NSA.
Chiffrement. WhatsApp, une application mobile de communication (filiale de Facebook), annonce cet automne le renforcement de sa confidentialité avec l'adoption du logiciel de chiffrement TextSecure. Ce service, censé protéger les messages instantanés, est utilisé par un certain Edward Snowden pour ses propres échanges. Proposé par défaut dans les dernières versions de WhatsApp, sa mise en route ne nécessite pas de réglage particulier pour les quelque 700 millions d'utilisateurs mensuels de l'appli qui envoient chaque jour 30 milliards de message.
Le mouvement s'accélère en septembre lorsque Google et Apple dévoilent à quelques jours d'écart une mesure similaire encore plus extrême : le chiffrement par défaut des smartphones utilisant les dernières versions de leurs systèmes d'exploitation, iOS et Android. En clair : ni Google ni Apple ne seraient en mesure d'accéder aux données chiffrées par l'utilisateur. Un choix radical vivement critiqué par les forces de l'ordre américaines : «L'iPhone va devenir le téléphone préféré des pédophiles», déclare à l'époque John J. Escalante, haut gradé de la police de Chicago.
Parenthèse. Parallèlement à ces initiatives, l'après-Snowden s'accompagne d'une vigilance accrue des organismes de protection de la vie privée, à l'image de l'Electronic Frontier Foundation (EFF), toujours prompte à pointer les faiblesses de services. Skype, logiciel de communication en ligne appartenant à Microsoft, se targue ainsi d'utiliser un chiffrement protégeant «d'éventuelles écoutes indiscrètes par des utilisateurs malveillants». En novembre 2014, dans son tableau de bord régulièrement actualisé des messageries les plus fiables, l'EFF remet en doute la fiabilité du cryptage proposé par Skype.
Zèle sincère ou argument marketing, ce renforcement du Net risque de n'être qu'une parenthèse de quelques mois. Depuis les attentats parisiens, politiques de tous bords et de toutes nationalités semblent déterminés à lutter contre le cryptage de masse, ou du moins à s'arranger pour passer outre, sans garantie d'efficacité contre les menaces. Une situation résumée avec malice par le journaliste spécialisé américain Ryan Paul : «Au lieu d'inventer un cryptage uniquement contournable par le gouvernement, on devrait plutôt élever des licornes capables de bloquer par magie des attentats terroristes.»