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Parasité par Hitler, Coca-Cola renonce à une campagne de pub

Sur Twitter, la marque transformait des «messages négatifs» en visuels mignons. Un média américain l’avait détourné en utilisant des extraits de «Mein Kampf», provoquant l'arrêt de la campagne.
Capture de tweets émis par le compte @CocaCola à partir d'extraits de Mein Kampf.
publié le 5 février 2015 à 18h41

A l'occasion du Super Bowl le week-end dernier, Coca-Cola a lancé une campagne en ligne plutôt originale, à la limite de l'art numérique. Son message, un brin hippie, venant d'une multinationale spécialisée dans les boissons sucrées, était résumé par un slogan simple : «Spread happy, not hate.» «Diffusez le bonheur, pas la haine», en gros. Sur le site Gomakeithappy.com, on peut y lire le principe : «Marre de la haine sur la Toile ? Rejoignez le mouvement pour apporter du bonheur sur le Web et contrebalancer la négativité. Ensemble, nous donnerons à Internet une raison de sourire.» Coca-Cola ne croyait pas si bien dire.

Sur Twitter, la campagne (également déclinée sur Instagram et Facebook) consistait à transformer automatiquement des tweets négatifs signalés par des internautes avec le mot-clé #MakeItHappy en œuvre toute mignonne en art ASCII, autrement dit avec des caractères tirés de la norme de codage ASCII, dont l'un des exemples les plus simplistes pourrait être un smiley du type :). Qui dit traitement automatique dit dérive possible, et le site américain Gawker n'a pas tardé à le relever en réalisant qu'un slogan de suprémacistes blancs avait été transformé par Coca-Cola en gentil petit chien tout en ballons :

Une image a priori inoffensive, mais basée sur un texte -vaguement lisible en y regardant de près- beaucoup moins apaisé : «Nous devons assurer l'existence de notre peuple et un futur pour la jeunesse blanche.» Ni une, ni deux, Gawker a décidé de créer un compte Twitter automatique (un bot), @MeinCoke, débitant tweet par tweet l'intégralité du Mein Kampf d'Adolf Hitler à l'adresse de Coca-Cola. Plusieurs visuels ont ainsi été générés par le compte @CocaCola, à l'image du smiley capturé ci-dessous, conçu à partir du texte «l'Autriche allemande doit revenir à la grande patrie allemande et ceci, non pas en vertu de quelconques raisons économiques. Non, non» :

D'autres visuels du même acabit sont visibles sur Gawker. Bien que totalement  raccord avec l'esprit initial de la campagne (après tout, peut-on trouver message plus négatif que le pamphlet hitlérien ?), le détournement n'a pas été du goût de Coca-Cola qui a décidé d'arrêter les frais aujourd'hui. Le site AdWeek dévoile ainsi ce message d'une porte-parole de l'entreprise : «Le message de #MakeItHappy est simple : Internet est ce que nous en faisons, et nous espérions inspirer les gens à le rendre plus positif. Il est malheureux que Gawker tente de transformer cette campagne en ce qu'elle n'est pas. Mettre en place en compte automatique qui tente de diffuser des messages haineux via #MakeItHappy est un parfait exemple de la négativité omniprésente en ligne que voulait combattre Coca-Cola avec cette campagne.»

Le compte Twitter de Coca-Cola n'émet plus de tels tweets depuis mercredi soir et a supprimé les messages adressés au compte @MeinCoke. Pas sûr que cette réponse à l'initiative trollesque de Gawker soit la plus appropriée compte tenu de l'objectif de la campagne. Il est par ailleurs amusant de noter que cette «potacherie» ressemble à s'y méprendre au genre de plaisanteries dont sont friands les adeptes du forum 4chan, ennemi invétéré de Gawker depuis la publication d'enquêtes à charge contre cette communauté très portée sur l'humour trash.

Le plus triste, in fine, est le coup de pub involontaire apporté à Mein Kampf qui n'en a guère besoin : d'après une enquête récente du site Vocativ, le texte attirerait, grâce à l'anonymat permis par les liseuses numériques, un nombre toujours plus important de lecteurs.