Il s'approche doucement, silencieusement, comme dans un rêve. «Vous aimez Manet ?» demande-t-il, le regard doux et l'air guindé dans son costard noir. Le musée d'Orsay est quasi désert. La jolie brune sort de sa contemplation du Déjeuner sur l'herbe, elle se tourne vers lui. Voilà comment on imaginait la scène de notre première rencontre. Normal : c'est ainsi qu'on a découvert Hugo Becker, en français dans le texte, prêt à s'empêtrer dans les turpitudes passionnelles de la très populaire saga américaine Gossip Girl. Ses traits lisses et son regard pénétrant sont alors ceux d'un prince, et pas n'importe lequel : Louis, monarque de la famille Grimaldi, un héritier bien éduqué à l'accent frenchy so sexy, prêt à en découdre avec tout le clan de l'Upper East Side new-yorkais pour épouser cette peste de Blair Waldorf.
Mais voilà, ça ne s’est pas du tout passé comme ça. Hugo Becker est arrivé en retard au rendez-vous fixé rue de Belleville à Paris, il faisait nuit, il faisait froid, alors il a parcouru les derniers mètres à petites foulées pour montrer sa bonne volonté. En blouson cuir aviateur, jean et pull bien propre sur lui, le constat est sans appel : au naturel, l’acteur de 27 ans est totalement dépourvu de la patate chaude qu’il semblait avoir dans la bouche (et du balai qu’il paraissait avoir ailleurs).
Le carrosse est donc une citrouille. Tant mieux, puisque c'est la gastronomie qui ramène cette semaine cette belle gueule sur les écrans de télévision français, dans la très attendue série Chefs, diffusée à partir de ce mercredi soir sur France 2. Il y incarne Romain, repris de justice embauché comme petite main dans le restaurant d'un génie des papilles au caractère bien trempé et campé avec allure par Clovis Cornillac. Arnaud Malherbe, scénariste et réalisateur de la série, a vu passer une cinquantaine d'acteurs pour ce rôle. A ses yeux, Hugo s'est imposé comme une évidence - au cas où on serait déjà en manque de contes de fées. «Il fallait qu'il soit crédible en petite frappe, ait un aspect assez dur, mais qui soit aussi potentiellement touchant. Hugo a une qualité de jeu et une prestance physique qui en font une vraie figure de héros, comme on en a peu aujourd'hui dans le cinéma français», assure-t-il. Souriant, agité, fougueux même, Becker veut séduire tous ceux qu'il croise, donne du prénom à tout va, vous touche le bras sans arrêt, parlemente pour avoir une table quand son italien fétiche affiche complet. Têtu, impatient, il veut tout, tout de suite. Sa carrière trouve son élan en 2010, quand, après de nombreux petits rôles, il est repêché pour figurer au palmarès des Talents Cannes des jeunes acteurs. Il parle l'anglais et l'espagnol, ce qui lui ouvre les portes de Gossip Girl, au même moment qu'une certaine Clémence Poésy. Il y reste une saison, ne renie pas l'expérience d'une série connue pour être bien trempée dans le mélo mais sait se faire plutôt discret. «A l'époque, je me disais "fais tes armes, ferme ta gueule". J'étais assez fier d'avoir ce rôle-là, ça changeait des rôles de petites frappes», ceux auxquels son visage tout en angles et ses yeux sombres l'avaient jusque-là cantonné. «Tu fais ça à 23 ans, ça veut pas dire que les gens vont toute ta vie te bloquer là-dessus. Justement, c'était un rôle différent, plus éloigné de moi», continue-t-il, intarissable sur sa façon de se préparer et ses idoles, Matt Damon, Edward Norton, Jack Nicholson. Il apparaît ensuite au cinéma aux côtés de Greta Gerwig dans Damsels in Distress, joue un footballeur pour la BBC et raconte comme le ferait un gamin sa joie de mettre une lucarne devant les milliers de spectateurs du stade Emirates face à Arsenal, lors d'une mi-temps.
Cette fois, c'est à Paris que son visage juvénile s'étale sur les affiches de promo. «Romain, c'est plus moi. Il a mon côté sanguin mais il est plus dans la retenue, il a un côté intérieur.» Pour se fabriquer cette carapace de taulard, il est allé chercher du côté de Metz, où il est né, et où il a laissé de vieux copains qui lui tenaient compagnie du côté du radiateur. L'un d'eux s'est fait choper après un go fast. «J'avais des facilités à l'école. Mais au CP, on m'a mis zéro partout parce que je posais trop de questions. Alors, j'ai toujours été pote avec les cancres, parce que c'étaient les seuls qui étaient loyaux et avec qui tu te marrais.»
Il garde de cette expérience une aversion pour l'institution scolaire. «Le diplôme, c'est rien, ce qui compte, c'est ce que tu fais. Si tu fais rien, t'es rien.» Même les écoles de théâtre, qu'il intègre l'une après l'autre, jusqu'au cours Florent et la Royal Academy of Dramatic Art de Londres, il n'en a «fini aucune». Il s'enflamme, balance des évidences avec conviction. «A chaque fois, je me dis "tu vas t'encroûter si tu restes. Il y a 7 milliards d'êtres humains, je vais pas passer cinq ans dans une école de théâtre".» Ou sur la politique : «Je comprends pas les gens qui disent qu'ils ne s'y intéressent pas. La politique, c'est l'autre, c'est les gens qui sont autour de toi.»
A 11 ans, son grand-père l'emmène à la Comédie-Française. Il adore, connaît par cœur «les sociétaires, et mêmes les pensionnaires». A 12 ans, il est en internat, et il veut «faire du cinéma». «J'avais aucune idée de comment ça marchait réellement, mais je voulais faire ça.» Il regarde en boucle les Walt Disney, le prouve encore en entamant une série d'imitations au milieu du repas, fait vivre sous nos yeux Napoléon et Lafayette, les deux chiens des Aristochats. «Etre acteur, c'est un truc d'enfant, avoir plusieurs vies, se déguiser.» Ses parents, tous les deux juristes, n'encouragent pas plus que ça ce penchant du petit dernier de quatre enfants. Ils ignorent même qu'il passe plus de temps à traîner avec ses amis comédiens qu'à étudier, jusqu'à ce que le conservatoire de Lille les appelle pour leur annoncer que leur fils est reçu. «Aujourd'hui, ils hallucinent», se marre-t-il, tout en se justifiant pour ne surtout pas «paraître arrogant». «Je suis fier de venir de Metz, on est très soudés dans ma famille.» Il en tire la force tranquille de ceux à qui jamais rien de mal ne peut arriver. Mais tient sans arrêt à rappeler qu'il «s'est fait tout seul», qu'il «s'est battu». Avec son premier cachet, il s'est offert une Triumph Spitfire qu'il a fait retaper. Il vit dans un 40 m2 dont il est propriétaire au dernier étage d'un immeuble du quartier de Ménilmontant, mais passe peu de temps chez lui. Contrairement au commis Romain, il ne cuisine pas beaucoup. Et si sur le tournage, il s'est amélioré en découpe, cela lui sert surtout à parfaitement détailler ses tranches d'orange le matin. «Parfois, il m'arrive aussi de faire l'autiste chez moi et de regarder des films en boucle.» Au-delà du métier d'acteur, c'est toute la machine qui l'intéresse. Avec déjà quelques clips et courts métrages à son crédit, il se pique de réalisation. Célibataire, il est un peu comme ce prince Grimaldi auquel il a prêté ses traits et assure fuir les filles trop intéressées par la célébrité. «C'est pas facile, quand t'es comédien, t'as une vie très éparpillée. Mais si je n'ai pas de famille, j'aurais raté un truc.» «Xoxo», il n'est pas interdit de croire aux contes de fées.
En 4 dates
1987 Naissance à Metz.
2010 Tourne dans la série Gossip Girl.
2012 Damsels in Distress (Whit Stillman).
2015 Chefs (Arnaud Malherbe) sur France 2 et Au service de la France sur Arte (Alexandre Courtès).
Photo David Luraschi