Jesse est un hacker, un vrai de vrai. Il pianote sur son clavier à toute vitesse et ne se sert jamais de sa souris, même pour copier un dossier sur sa clé USB. Jesse est un hacker tellement fort qu'il sait faire démarrer une voiture avec un crayon. Tellement doué qu'il peut pirater n'importe quel site en dix secondes chrono et navigue dans des logiciels qu'il n'a jamais croisés de sa vie (l'intranet d'un hôpital) comme un poisson dans l'eau. Ou comme un «marsouin virtuel». L'expression est de lui.
Jesse est le héros de The Code, nouvelle série que diffuse Arte à raison de deux épisodes tous les jeudis soirs. La promesse était alléchante. Ce n'est pas tous les jours qu'on a la chance de voir une série australienne, et puis The Code a été primé : il a reçu le mois dernier le fipa d'or du meilleur scénario à Biarritz. En gros, l'intrigue tourne autour d'un vilain complot impliquant le gouvernement australien, une grosse entreprise de biotechnologies, un mauvais journaliste (Ned Banks) et son frère hacker (Jesse). Depuis le fait divers initial (deux adolescents aborigènes accidentés de la route) jusqu'aux moult rebondissements finaux, le rythme est celui d'un bon thriller. Mais pourquoi faut-il que la dimension geek revendiquée vienne tout gâcher ?
Cryptés. Nous sommes en 2015, et les ordinateurs font encore «bip bip» à la télé. Episode 4 : la dircom du Premier ministre essaie de se connecter à son ordinateur de travail. «Bip bip», fait le PC - mot de passe refusé. Elle réessaye. «BIIIP !» L'écran devient noir et lui barre le passage avec l'icône d'une main rouge. Toutes les scènes de manipulation informatique sont à l'avenant. En s'infiltrant sur des serveurs ennemis, notre jeune Jesse transforme les «ACCÈS REFUSÉ» tout rouges en «ACCÈS AUTORISÉ» tout bleus avec ses lignes de code magiques. Quand il déchiffre des fichiers cryptés, leur code source passe lui aussi du carmin au vert pomme. Il y a pourtant de bonnes idées graphiques, comme ces arborescences qui défilent à l'écran pour nous faire comprendre comment Jesse remonte la piste d'une adresse IP jusqu'à son propriétaire. C'est visuel et didactique. Mais trop souvent caricatural, avec ce code couleur manichéen qui laisse la désagréable impression de nous prendre pour des idiots.
Plus que la crédibilité des manipulations informatiques elles-mêmes, c'est la culture numérique qui manque cruellement à la scénariste Shelley Birse. «Internet est une arme à double tranchant dont on peut faire l'outil de la démocratie comme le mouchard de la Stasi», explique-t-elle dans une interview à l'Obs, citant le rôle des réseaux sociaux dans le printemps arabe et les révélations de WikiLeaks.
Cybercafé. On sent dans The Code cette fascination naïve pour la jeune génération qui s'y connaît en choses de l'Internet. Ainsi Hani, qui rappelle vaguement la hackeuse de Millénium Lisbeth Salander, dévoile-t-elle son côté sombre quand on découvre qu'elle milite chez… les Anonymous ! Dans le genre inoffensif… Mais la palme revient à Jesse, qui, tout vénère contre le gouvernement, va dans un cybercafé pour se venger en ligne. Musique angoissante, et le voilà qui se lâche tout en majuscules sur la page Wikipédia du ministère de la Justice : «ILS SONT PIRES QUE DES TERRORISTES. SALAUDS !» Quelle audace. Manque de pot, une alerte ( «bip bip» ) l'informe en direct que son insulte vient d'être effacée par la police cybercriminelle, qui n'a apparemment rien d'autre à faire que surveiller son e-réputation. On est loin de la série «traitant des vertiges de notre monde hyperconnecté» promise par Arte.
Morale : rien ne sert de fantasmer sur des serveurs top secrets et le routage des adresses IP. Quels que soient les effets visuels déployés, l'informatique ne sera jamais sexy. On peut en revanche mettre en scène de passionnants nerds, et The Code y parvient avec brio. Socialement inadapté, psychorigide mais fragile comme une clé WEP, Jesse est si attachant qu'il nous a scotché jusqu'à la fin de la saison, malgré tout le reste.