Menu
Libération

Marion Cotillard, une béquille pour la planète

publié le 1er mars 2015 à 17h06

Tiens, Marion Cotillard est au générique du 20 heures de France 2. Cotillard ? La môme Piaf en personne ? Encore les oscars ? Ah non, elle accompagne François Hollande aux Philippines, où il est parti parler réchauffement. Elle n’est pas seule. Elle est venue avec ses béquilles, son chapeau, et sa collègue Mélanie Laurent. Cotillard, Laurent, les deux comédiennes françaises que le Net adore détester, et dont il ne cesse de se moquer ? Oui, mais rien à voir.

Le premier sujet du 20 heures leur est d'ailleurs, comme il se doit, consacré. Cotillard explique que Hollande «a un discours très intelligent et très réfléchi» sur le changement climatique. Ils en ont discuté dans l'avion. La France est rassurée (même si elle reste dans l'ignorance de l'opinion de Hollande sur les positions de Cotillard). Et, à la fin du reportage, le présentateur Julian Bugier s'adresse à son envoyée spéciale : «Maryse Burgot, la question que tout le monde se pose, c'est pourquoi ces deux actrices aux côtés du chef de l'Etat ?»

«La question que tout le monde se pose» : sacré Julian ! Il faut saluer l'exploit, pour le présentateur d'une chaîne dont l'âge moyen du public se situe aux alentours de 55 ans, consistant à se mettre dans la peau d'un téléspectateur qui n'aurait jamais vu le sac de riz de Kouchner, les concerts de Bob Geldof, les voyages de Clooney ou de Schwarzenegger, les multiples formes de charité spectacle, ou d'écologie spectacle, qui ont rythmé les trois dernières décennies. Allons Julian, pensez-vous vraiment que tout le monde se pose la question ? Mais non, Julian. Tout le monde le sait depuis longtemps, sauf vous qui faites semblant.

N'empêche que Maryse Burgot doit faire semblant de répondre à la question que Bugier a fait semblant de lui poser. C'est la règle du jeu. «Eh bien tout simplement, Julian, parce que ces stars permettent une médiatisation maximum. On se souvient de Sophie Marceau accompagnant François Mitterrand en Corée du Sud pour mieux représenter l'image de la France», etc.

La situation est révélatrice. Si Maryse Burgot avait répondu honnêtement à la question, elle aurait dit à peu près ceci : «Non, mais sérieux ? Tu me poses vraiment la question, Julian ? Tu veux que je te rappelle, en conf de rédac quand on propose un sujet sur l'écologie, comme il y a toujours quelqu'un pour rappeler que tout le monde s'en fout ? Tu veux que je te rappelle, le festival de vannes, quand on a appris que Cotillard et Laurent seraient du voyage ? Tu sais très bien, Julian, pourquoi elles sont là. Pour nous. Sans elles, honnêtement, auriez-vous donné la première place du 20 heures au voyage de Hollande ? Même accueilli au son des Champs-Elysées de Joe Dassin joués au xylophone, même avec quelques images de ses échanges de regards avec Ségolène, même avec une interview de Hulot, mon reportage serait passé dans les profondeurs du journal, et nous le savons tous les deux».

Voilà ce qu’aurait pu répondre Maryse Burgot. Puis, se tournant théâtralement vers la caméra, c’est-à-dire vers nous : «Et, si elles sont là, c’est aussi pour vous, qui me regardez en ce moment. Franchement, même si vous savez que nous courons à la catastrophe avec les changements climatiques, qu’en avez-vous à faire ? Rien, l’écologie ça commence à bien faire, tous les sondages le disent. Mais le chapeau de Cotillard, sans parler de toutes les sales petites questions qui vous trottent immédiatement dans la tête, sur le thème, tiens, on se demande bien ce qu’en pense, Julie Gayet, alors là, ça vous tire l’œil. Ne mentez pas».

Soyons justes avec France 2. Immédiatement après les images de Marion Cotillard, suivait un autre reportage, excellent, celui-là, sur les réfugiés climatiques de Guiuan, port de pêche frappé par un typhon en 2013, où les pêcheurs doivent se risquer de plus en plus loin des côtes, la mer s’étant réchauffée de deux degrés. Mais France 2, comme Hollande, s’était persuadé qu’il lui fallait les béquilles de Cotillard pour le faire tenir debout, pour nous y intéresser. Comme si la seule fonction de l’image de Cotillard était de créer de la disponibilité, un état de curiosité, dans nos cerveaux sursollicités. Comme si nos cerveaux étaient constitués d’une forme caoutchouteuse, qu’il fallait investir par la ruse, pour vaincre leur inertie habituelle. Et le pire, c’est qu’ils n’ont pas tort.