Tremblez Amazon, CanalPlay et autres concurrents de la vidéo à la demande par abonnement (SVOD). Le mois dernier, un rapport de la société d'analyse financière américaine Janney affichait les ambitions de Netflix : 5 milliards de dollars (4,57 milliards d'euros) investis dans les programmes en 2016, soit la quasi-totalité de son chiffre d'affaires 2014 (5,5 milliards de dollars), et «une implantation dans près de 200 pays ». Après l'Amérique du Sud et l'Europe, c'est l'ensemble de la planète qui pourrait, d'ici deux ans, visionner les séries télévisées ou les films de la plateforme en ligne.
Son responsable de la programmation, Ted Sarandos, s'emportait, cet automne, dans le Washington Post, contre le «statu quo de ces nantis qui n'aiment pas le changement» (entendez : les responsables de l'audiovisuel qui n'ont pas basculé vers le numérique). Vu en France comme l'ennemi à abattre (lire ci-contre), Netflix a une image différente dans le reste du monde. Maître dans l'art du storytelling, son charismatique PDG, Reed Hastings, a su, à l'instar d'un Steve Jobs, transformer l'histoire de son entreprise en épopée de la Silicon Valley : David contre Goliath, la petite start-up contre les «nantis» d'Hollywood. Si la société, basée à Los Gatos (Californie) et qui compte 2 000 employés, communique peu, elle sait, en revanche, valoriser sa capacité à prendre des risques.
Piratage. C'est elle qui a lancé le streaming en flux continu (2010), et surtout la production de contenus originaux par des acteurs venus d'Internet, avec la série Lilyhammer,diffusée en 2012, avant la mythique House of Cards. Sa tête d'affiche et coproducteur Kevin Spacey aime bien raconter comment il fit d'abord le tour des chaînes de télévision avec son pitch de série pour se voir répondre : «Faites un pilote, on verra après.» Mais Hastings lui donna carte blanche pour tourner la première saison. «Il m'a dit : "Nous avons analysé nos données, elles montrent que notre public va aimer votre projet"», explique Spacey. Trois Emmy Awards et un carton mondial plus tard, le pari de proposer l'intégralité d'une saison dès la sortie du premier épisode avait fait école, donnant naissance au concept de binge-watching, le fait d'enchaîner les épisodes jusqu'à plus soif.
Pour Kevin Spacey, «ce succès montre que le public veut avoir le contrôle. Donnons aux gens ce qu'ils veulent, quand ils le veulent, sous la forme qu'ils veulent, à un prix raisonnable. Et alors ils seront prêts à payer pour ces contenus plutôt qu'à les voler». Sur ce dernier point, l'acteur s'est montré quelque peu optimiste. Dans une récente lettre aux investisseurs, Reed Hastings s'inquiétait du piratage, «devenu l'un de nos plus importants compétiteurs». Reste que Netflix peut s'appuyer sur une base solide de 57,4 millions d'abonnés, dont il connaissait les habitudes et les goûts depuis des années, grâce à son fameux algorithme, aussi secret que celui de Google. Moins poétique que la «prise de risque» prônée par Spacey.
Emprunt. Pour Philippe Bailly, consultant chez NPA Conseil, le succès tient de la recette du pâté d'alouette : «Une alouette d'innovation avec la qualité de l'ergonomie et du moteur de recommandation, combinée à un cheval d'agressivité tarifaire.» A 8,99 dollars par mois, Netflix reste moins onéreux que la majorité de ses outsiders. «Jusqu'à maintenant, poursuit-il, la force de Netflix n'était pas du côté des contenus, mais des services. En mettant bout à bout leurs contenus originaux, on a à peine cent heures.»
Mais à l’heure où HBO et CBS entrent, à leur tour, dans la danse de la SVOD et de la VOD (vidéo à la demande), Netflix investit des sommes folles dans la production de contenus originaux. Devenues concurrentes, les deux chaînes câblées lui barrent de plus en plus l’accès à leur catalogue.
HBO doit sortir, en avril, son propre Netflix pour y proposer la nouvelle saison de Game of Thrones. Baptisée «HBO now», ce service en streaming, lancé avec Apple TV, sera proposé à 14,99 dollars par mois, et a été conçu pour les adeptes, en hausse, du «cord cutting». Ce phénomène consiste à abandonner son abonnement au câble et à des chaînes que l'on ne regarde jamais pour des services à la demande de VOD ou SVOD.
Dès lors, Netflix mise sur «une stratégie alliant un développement international ultra-volontariste à une production massive de contenus, pour espérer rester en tête de peloton», analyse Bailly. Pour financer cette expansion, Netflix a lancé un emprunt d'un milliard de dollars. Après Marco Polo, la série la plus chère de l'histoire (90 millions de dollars), la plateforme a lancé une adaptation en série du jeu vidéo The Legend of Zelda, et un thriller de science-fiction par lesWachowski. Ce pure-player de l'audiovisuel affiche aussi ses ambitions dans le cinéma, et vient de signer un accord avec l'acteur Adam Sandler pour quatre films produits par Netflix, accessibles à ses abonnés en exclusivité.
Chaque mois, Netflix annonce son arrivée dans un nouveau pays, comme à Cuba en février. Outre les problèmes de bande passante, l’addition pour le futur abonné cubain risque d’être salée : au prix américain, elle représente le tiers du salaire moyen cubain. Mais peu importe, cette stratégie d’expansion tous azimuts permet à Netflix de continuer à alimenter le buzz.
Pour se démarquer de ses concurrents, le service, valorisé à 25,8 milliards de dollars sur le Nasdaq new-yorkais, mise sur des innovations technologiques. L'entreprise qui se présentait comme «l'offre low-cost de la vidéo en ligne» a changé radicalement de stratégie. Elle se définit désormais comme «l'avenir de la smart TV», et a annoncé sans aucune modestie la création d'un label «approuvé par Netflix». Il ne serait accordé qu'aux fabricants de téléviseurs capables de proposer la 4K, la nouvelle norme d'image ultra-haute définition. Des ambitions qui concernent également le marché mobile avec de nouvelles applications, annoncées au début du mois au Mobile World Congress de Barcelone.