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La Maison de la radio ne tourne plus rond

Radio France, la grève et après ?dossier
Le projet économique et social porté par le PDG de Radio France, Mathieu Gallet, est à la fois rejeté par les salariés, en grève depuis une semaine, et désavoué par la ministre de la Culture.
La Maison ronde, dans le XVIe arrondissement de Paris, le 18 mars. (Photo Patrick Kovarik. AFP)
publié le 25 mars 2015 à 21h16

Le coup de grâce de la tutelle (l'Etat) à l'encontre d'un Mathieu Gallet que l'on sait dans un fauteuil éjectable depuis les révélations en série sur le train de vie de Radio France ? En choisissant, mercredi matin, de tancer publiquement le patron de la Maison ronde, au septième jour d'une grève qui paralyse les antennes publiques, «Fleur Pellerin a encore fragilisé Mathieu Gallet», estimait un cadre dirigeant de Radio France. Et d'ajouter: «Si elle voulait l'affaiblir, elle ne s'y serait pas prise autrement.»

La ministre de la Culture n'a pas fait dans la dentelle en annonçant par le biais d'une dépêche AFP avoir «convoqué» Gallet, tout en lui donnant «quinze jours» pour faire «des propositions précises et fermes» sur l'avenir de la radio publique. Les pistes avancées jusqu'ici par le PDG de Radio France ont été jugées «pas suffisamment précises et documentées» par sa ministre de tutelle. Si ce n'est pas un ultimatum, cela y ressemble fort.

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), qui l’avait nommé à son poste à la surprise générale il y a un an à peine, en a rajouté une louche en début d’après-midi en demandant à Mathieu Gallet, «auquel il maintient sa confiance, de lui communiquer l’ensemble des orientations élaborées pour faire face aux déséquilibres financiers de Radio France en prenant en compte l’intérêt de ses personnels».

Voilà le PDG sous pression maximum, pris entre les tirs croisés de sa tutelle et du régulateur de l’audiovisuel, qui étaient pourtant au courant des projets de Gallet. Au point que sa démission fait désormais partie du champ des possibles. Poussé vers la sortie après seulement treize mois d’un mandat prévu pour durer cinq ans ?

Parachuté à la présidence de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) en 2010 à 33 ans après avoir gravi quatre à quatre les marches du pouvoir dans l'ombre des cabinets ministériels sous la présidence sarkozyste (lire page 4), ce Rastignac de l'audiovisuel a décroché le Graal de Radio France le 27 février 2014 avec le feu vert tacite de la gauche au pouvoir. Une ascension météorique qui ne lui a pas valu que des amis. Mais Mathieu Gallet, qui défend son court bilan, n'a pas encore jeté l'éponge. Radioscopie des dossiers explosifs qu'il doit déminer dans l'urgence s'il veut rester en poste.

Les casseroles du PDG

La première louche pas encore digérée, Mathieu Gallet en a repris une deuxième, servie par le Canard enchaîné. Mercredi, l’hebdomadaire révélait qu’un contrat de 90 000 euros annuels a été engagé par Radio France avec le consultant Denis Pingaud (1), un ancien d’Euro RSCG désormais à son compte, qui conseille Gallet pour sa communication personnelle. Une pratique courante pour les grands patrons du CAC40 mais qui enfreint la règle de mise en concurrence, via un appel d’offres, en vigueur dans les entreprises publiques depuis 2005. Le même Denis Pingaud qui épaulait déjà Mathieu Gallet à l’INA avait orchestré sa campagne millimétrée pour la présidence de Radio France.

Dans sa précédente édition, le Canard révélait que le patron de la radio publique avait, cet hiver, fait rénover son bureau pour 105 000 euros. Loin des 34 500 euros prévus initialement. La faute à la restauration d'un décor de boiseries en palissandre datant des années 60, dont le coût a été largement sous-estimé, explique-t-on dans l'entourage de Mathieu Gallet. Elle a coûté à elle seule 70 000 euros et a été supervisée par un architecte des Monuments historiques. Selon Radio France, ces restaurations sont «les premières de ce type depuis l'inauguration de la Maison de la radio en 1963». En réaction à la fronde des salariés, le patron de Radio France a présenté lundi ses excuses au personnel : «Dans le contexte financier qui est le nôtre, j'aurais dû reporter cette opération de restauration. C'est ma responsabilité, et je tiens à m'en excuser auprès de vous tous.»

Le 19 mars, Libération révélait pour sa part que Mathieu Gallet avait fait venir son chauffeur de l'INA - alors que la direction de Radio France en compte déjà trois. Dans ce contexte miné, l'Etat a diligenté une enquête de l'Inspection générale des finances (IGF) pour vérifier les dépenses de la présidence, de la direction générale et du comité directeur de Radio France. Ses conclusions devraient être connues sous quinzaine.

L’équation budgétaire

Elle est très complexe pour ne pas dire «insoluble», craint un observateur. Et bloque dans l'immédiat le nouveau contrat d'objectifs et de moyens, qui prévoit le cadre financier de Radio France pour les quatre ans à venir. A court de trésorerie et avec un déficit attendu à 21,3 millions d'euros en 2015 - une première -, Radio France accusera un trou de près 280 millions en 2019 si rien n'est fait. La faute à l'Etat, s'accordent sur ce point Mathieu Gallet et les syndicats, qui pointent la baisse de 87 millions d'euros de dotations depuis trois ans, en contradiction avec le précédent contrat d'objectifs et de moyens signé en 2010.

Facteur aggravant pour le groupe public, dont 90% des ressources dépendent de la redevance, les recettes publicitaires (40 millions d'euros) sont en baisse. A l'inverse des charges, qui progressent alors que la redevance a baissé de 8,4 millions en quatre ans. Pour sortir de cette impasse, la direction ambitionne de réduire son budget annuel de 50 millions d'euros d'ici à 2019. Mathieu Gallet a multiplié les pistes pour y parvenir : de la suppression envisagée d'antennes (FIP, France Musique) à l'extension des types d'annonceurs autorisés - ce qui a fait bondir les radios privées-, de la suppression des ondes longues et moyennes à la mise en place d'un cofinancement d'un des deux orchestres de Radio France (l'Orchestre national de Paris) avec la Caisse des dépôts. Une éventualité refusée par cette dernière, qui n'entend pas «être la variable d'ajustement de Radio France». D'un coût annuel de 60 millions d'euros, le budget dévolu par Radio France aux financements de ses activités musicales ne rapporte que 2 millions d'euros en recettes de billetterie.

Le climat social

Alors que Mathieu Gallet promettait un dialogue social rénové à son arrivée et un nouvel accord d’entreprise qui garantirait l’équité tout en récompensant l’effort et le mérite, il doit aujourd’hui faire face au plus long mouvement de grève à radio France depuis 2004.

Le plan de départ volontaire portant sur 300 salariés «seniors» (6,5% des effectifs du groupe) annoncé mardi en comité central d'entreprise (CCE) a largement durci un climat social déjà très lourd. Il doit permettre d'économiser de 17 à 24 millions d'euros, sur les 50 millions de réduction budgétaire que l'entreprise veut atteindre en 2019. La masse salariale atteint à Radio France 388 millions d'euros, soit 60% de son budget annuel de 650 millions. C'est «non», a déjà averti la CGT à propos de ces départs. «Nous n'avons plus confiance en vous. Il va falloir des actes forts, un projet digne des attentes du public et des salariés. Faute de cela le conflit durera», a averti pour sa part SUD. «Si on réembauche derrière, c'est peut-être faisable, mais dans le cas contraire, je ne vois comment on pourra continuer à assumer nos missions, réagissait un salarié mercredi. C'est une vision bêtement comptable, loin des ambitions affichées au départ par Mathieu Gallet pour Radio France.»

La rénovation de la Maison de la radio

Ce colossal chantier a débuté en 2009 et doit s'achever fin 2017-début 2018. C'est le plus important pour un bâtiment occupé en France et l'enveloppe prévue initialement, largement sous-estimée, s'est elle aussi envolée. Lancée en 2003, pour des raisons de sécurité après le 11 Septembre, la rénovation de la Maison ronde conçue par l'architecte Henry Bernard et inaugurée en 1963 par le général de Gaulle fait désormais figure de tonneau des Danaïdes. Le devis préalable aux travaux évaluait le coût du chantier à 175 millions d'euros, comprenant le désossage et le désamiantage des structures, ainsi que la rénovation de 60 000 m2 de locaux et de 38 studios d'antenne. A l'arrivée, la facture devrait s'élever à 584 millions d'euros (386 millions de travaux, 44 millions de coûts d'actualisation et 154 millions de frais de fonctionnement liés au chantier). Car le retard pris a nécessité le déménagement des 3 000 collaborateurs du siège à diverses périodes.

Si la responsabilité de Mathieu Gallet n’est - a priori - pas engagée sur ce dépassement de budget, la facture sera très compliquée, pour ne pas dire impossible à régler par le comptable de Radio France, dont le budget 2015 s’établit à 663,9 millions d’euros en ressources et 685,2 millions en charges. C’est la raison pour laquelle le président de Radio France discute avec l’Etat d’une demande de subvention spécifique ou d’un recours à un emprunt. Le chiffre de 150 millions d’euros est évoqué pour cette rallonge.

Le développement du numérique

«Le retard est immense», constate un journaliste de France Culture qui voit dans cette priorité affichée par le président de Radio France «un chantier de longue haleine». Depuis plusieurs années, c'est presque devenu une rengaine, le salut de la radio viendra du numérique. Mathieu Gallet l'avait défendu devant le CSA, y voyant une opportunité de renouveler l'audience et promettant de «disséminer une culture numérique». Dans les faits, le chantier est titanesque malgré des investissements importants : le budget de la Direction des nouveaux médias est passé de 4 millions en 2011 à 6,7 millions en 2014, ses effectifs de 17 à 50 personnes. L'«effacement de la dette technique», poétique euphémisme maison pour parler de la rénovation des infrastructures des sites et du numérique, reste toujours urgente. «Une heure après l'attentat chez Charlie Hebdo, le 7 janvier, la plupart des sites de Radio France étaient tombés, incapables de tenir la charge», témoigne un salarié de la Maison ronde.

Au-delà, c'est une réflexion «industrielle» sur la production et la diffusion qui doit encore être conduite, pour devenir «un média global qui exploite plusieurs canaux», avance Joël Ronez, ancien responsable de la Direction des nouveaux médias.

Côté réalisations, le site NouvOson explore depuis deux ans des formats de création. La chaîne musicale numérique RF8 a été lancée au printemps 2014, mais elle est déjà en sursis. Le responsable de la Direction des nouveaux médias, Laurent Frisch, nommé en novembre, se défend néanmoins de lancer des podcasts payants, comme l'avait imaginé Mathieu Gallet lors de son audition par le CSA : «Ce n'est ni à l'ordre du jour, ni une priorité.»

(1) Denis Pingaud tient un blog invité sur Libération.fr.