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Mathieu Gallet, un homme pressé en panne de séduction

Radio France, la grève et après ?dossier
Le jeune PDG, sèchement «convoqué» mardi par Fleur Pellerin, veut moderniser et «normaliser» la radio publique historique.
Le jeune président de Radio France, Mathieu Gallet, en novembre. (Photo Loic Venance. AFP)
publié le 25 mars 2015 à 21h16

Comme un mauvais élève dans le bureau du proviseur. En arrivant sous les ors du ministère de la Culture, mercredi matin, à la demande expresse de Fleur Pellerin, Mathieu Gallet devait être dans ses petits souliers. La ministre de la Culture le sommait de fournir sous quinzaine «des propositions précises et fermes», sur la stratégie de l'entreprise. Une grève de sept jours sur le dos, des travaux au coût de ministre sur la place publique et l'Etat mécontent du représentant de sa radio… Comment j'en suis arrivé là ? a dû songer Mathieu Gallet, 38 ans, dont le parcours ressemblait jusque-là à celui du Bel-Ami de Maupassant, du moins en ce qui concerne son ascension météorique dans l'univers impitoyable des médias : de Canal + à l'Institut national de l'audiovisuel (INA) en passant par les cabinets ministériels…

Belle gueule. Manifestement, l'homme a un talent de séduction hors du commun, et a réussi en février 2014 à convaincre, contre toute attente, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Sa belle gueule, son ambitieux projet numérique, sa virtuosité orale, l'intelligence sans doute d'une carrière qui s'est frottée au privé (Pathé, Canal +), au politique (conseiller de François Loos, ministre délégué à l'Industrie dans le gouvernement Villepin, puis conseiller au ministère de la Culture sous Christine Albanel, et directeur adjoint de cabinet sous Frédéric Mitterrand à partir de 2009), au public (l'INA où il est nommé en mai 2010 à 33 ans). Bref, Mathieu Gallet s'est essuyé à toutes les facettes du pouvoir, économique, politique, institutionnel, sans un premier vrai bâton de maréchal. C'est sans doute pour cela qu'il songe fin 2013, au bout de près de trois ans d'INA à Bry-sur-Marne et une année avant la fin de son mandat, qu'il poserait bien sa candidature au CSA pour coiffer cette Maison ronde chargée d'histoire. Bingo. L'outsider gringalet disqualifie les cinq autres, favoris expérimentés dans les médias compris. «Nous avons choisi une personnalité jeune, la plus jeune de l'histoire de Radio France», commentait alors le président du CSA, Olivier Schrameck, généreux en qualificatifs : «l'audace», le «dynamisme» de son projet et son «tempérament volontaire». Un syndicaliste de Radio France juge la séquence un peu trop glamour : «Au CSA, ça s'est passé comme à la Star Ac, ils sont tombés amoureux…»

Le 12 mai 2014, Mathieu Gallet arrive à la Maison ronde par le pont, dans la voiture conduite par Eric, son chauffeur, qui le suit depuis la rue de Valois. «Mon ambition est de transformer Radio France […]. Je veux aller vite pour impulser un changement dès mon arrivée», déclare-t-il quelques jours avant sa prise de fonction. Dans son escouade, des «technocrates» qui ne connaissent rien à la radio, sillonnent les couloirs. Un délégué syndical :«Quand on le croise dans l'ascenseur, il tapote sur son cellulaire et ne dit même pas bonjour.» «Quand il est arrivé, il a rencontré tous les syndicalistes, retrace un autre délégué. Jean-Luc Hees s'arc-boutait pour défendre l'emploi resté stable pendant dix ans à 4 619,5 postes ; Gallet parlait modernisation.» Mauvais signe pour des élus. «Vendredi, quand il est venu à l'assemblée générale, il nous a dit qu'il voulait normaliser la boîte, raconte un autre délégué. "Normaliser !" Il a une gestion comptable et économique.»

Animal à sang froid. Un moment, Mathieu Gallet aurait même caressé l'idée de transformer en open space l'étage où se trouve le fameux bureau aux boiseries. Dans un étrange timing, il se trouve aux mêmes loges que Thierry Lepaon, contraint de démissionner pour des travaux de rénovation onéreux. Pour retirer son mandat au président de Radio France, il faut un décret gouvernemental et des avis publics des commissions parlementaires. Fragilisé mais finalement à l'abri, Mathieu Gallet a sans doute grimpé trop vite les marches, se créant un sillage de jaloux hauts fonctionnaires ou de politiques de gauche qui le voient comme un animal à sang froid couvé sous l'aile de la droite. Pour l'heure, il peaufine depuis l'automne son COM (contrat d'objectifs et de moyens) qui fixera les objectifs et les moyens du groupe public pour 2015 -2019. Il voit Radio France comme une entreprise. A l'Etat de trancher. Le ping-pong attend peut-être le lendemain des élections départementales pour s'achever.