Quand ils sont arrivés sur la place du Palais-Royal, la pluie battante venait tout juste de s'arrêter. Ce mercredi, une partie du personnel de Radio France s'était donné rendez-vous à 14h30 à deux pas de la rue de Valois, où leur PDG, Mathieu Gallet, avait été «convoqué» dans la matinée pour présenter à la ministre de la Culture Fleur Pellerin un «point de situation». Depuis huit jours, la Maison Ronde vit à l'heure de la grève. Des représentants des salariés ont été reçus dans la journée par la ministre.
«Différents des autres»
Ils sont, selon la CGT, 350 à s'être rassemblés. Leurs petits panneaux sont combatifs : «Radio France en colère», «en lutte», «en grève». On croise des tambours improvisés, on entend des chansons. L'humeur, elle, est clairement à l'inquiétude. Les manifestants évoquent le désengagement de l'Etat, le chantier de rénovation qui s'éternise et dont les coûts ont explosé, le manque de dialogue social et, bien sûr, le possible plan de départs volontaires annoncé mardi par Mathieu Gallet, qui pourrait concerner 200 à 300 salariés. «300 emplois en moins, ça veut dire une réorganisation du travail avec moins de moyens, soupire un journaliste de France Culture. Si nous sommes différents des autres, c'est justement parce que nous avons de vraies équipes.»
Les révélations du Canard enchaîné concernant le bureau du PDG ont certes sérieusement alourdi le climat de défiance, mais le malaise est plus profond : «Même s'il s'en allait, il serait remplacé, et il y aura quand même des économies», juge un jeune gréviste. Des économies, ils en font, disent-ils, déjà beaucoup et depuis longtemps, au risque d'y sacrifier la qualité des antennes. «Ça fait dix ans que les choses se dégradent, avance un technicien. Tout ça met tout le monde en colère.»
«On attend un geste, des avancées»
Dans la manifestation, il y a aussi des visages et des voix que les auditeurs des stations de Radio France connaissent bien – dans la petite foule, on repère par exemple Pascale Clark, Valli, Paula Jacques ou Charline Vanhoenacker, la pétillante animatrice de «Si tu écoutes, j'annule tout» sur France Inter. «Je ne suis pas gréviste moi-même mais je soutiens mes équipes, explique cette dernière. On en veut un peu à la tutelle, on attend un geste, des avancées. Je ne voudrais pas que l'Etat nous dise : allez chercher des sous dans le privé.» A France Culture, une croisière «Culture en mer» programmée en novembre prochain – «à partir de 1290 euros par personne en cabine intérieure», annonce le dépliant – fait ainsi franchement grincer des dents.
Initiative peu courante, trois sociétés de producteurs de la Maison Ronde – celles de France Inter, France Culture et France Musique – ont d'ailleurs rédigé ensemble, en soutien à la grève, une «Lettre ouverte aux auditeurs», pour les «informer des risques qui pèsent sur la radio publique française». Le Syndicat national des journalistes (SNJ) reste, lui, jusqu'ici en retrait, ce qui désole les journalistes mobilisés. Mais les rédactions de la maison couvrent le conflit : «Les nouveaux trouvent hallucinante la liberté avec laquelle on peut traiter ça sur les antennes», souligne un manifestant. C'est encore, en effet, l'une des marques et l'une des libertés de la radio publique.