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analyse

Télé et radio publiques : c’est quoi le programme ?

Radio France, la grève et après ?dossier
Tiraillé entre mission de service public de qualité et impératifs économiques, l’audiovisuel public doit résoudre une équation difficile. Etat des lieux.
A France Télévisions, le budget consacré au numérique a triplé depuis 2009 passant à plus de 80 millions. (Photo Arnaud Meyer. Picturetank)
publié le 3 avril 2015 à 20h16

Quelle radio et quelle télévision publique voulons-nous dans les années à venir ? Face à l’explosion de l’offre de contenus en ligne, comment financer un média public de l’ère numérique ? Radio France et France Télévisions se sont-elles adaptées assez vite à la nouvelle donne internet, qui voit auditeurs et téléspectateurs consommer sons et images en mode «délinéarisé», sur tous les écrans et à toute heure du jour et de la nuit ? Ce sont quelques-unes des questions qui reviennent en boucle ces jours-ci, alors que Radio France, en grève depuis quinze jours, s’enfonce dans la crise et que France Télévisions s’apprête, sur fond de lourdes interrogations quant à son avenir, à renouveler sa présidence. Des défis d’autant plus compliqués à relever que la tutelle a de plus en plus de mal à assumer ses responsabilités. Coincé, l’Etat est aujourd’hui tiraillé entre ses exigences légitimes d’un service public ambitieux, sa volonté d’éviter les vagues sociales - c’est complètement raté à Radio France, qui s’apprête à battre le record de longévité d’une grève - et l’impératif de dépenser moins. L’audiovisuel public ou l’impossible quadrature du cercle.

Faire mieux, avec moins

«Satisfaire les besoins d'information, de culture, d'éducation et de distraction du public» : comment continuer à remplir ces missions historiques en pleine cure d'austérité ? C'est l'injonction contradictoire à laquelle est confronté l'audiovisuel public. Ces dernières années, les moyens alloués par l'Etat sont en baisse. Au mieux, pronostique un connaisseur, «si on arrive à maintenir des ressources à peu près stables dans les années qui viennent, ce sera Byzance». Radio France sera en déficit d'une vingtaine de millions d'euros en 2015, une première : l'Etat n'a pas honoré sa promesse du précédent contrat d'objectifs et de moyens (COM), signé en 2010, et a réduit la dotation de 87 millions ces trois dernières années.

Du côté de France Télévisions (10 millions de déficit prévus en 2015, après 40 millions en 2014), ce sont 300 millions d’euros qui manquent depuis 2012 : l’Etat devait les lui allouer pour compenser la suppression de la publicité après 20 heures. D’où la recherche d’économies tous azimuts afin d’amortir au maximum ces restrictions budgétaires. Elles passeront en premier lieu par une réduction des effectifs : 50 millions d’euros d’économies sont programmés à Radio France d’ici 2019, avec la mise en place d’un plan de départs visant jusqu’à 300 salariés «seniors» (6,5% des effectifs) pour 17 à 24 millions d’euros d’économies ; le mouvement de départs «naturels» et volontaires à France Télévisions (environ 690 depuis 2012) va également se poursuivre, tout comme la réduction des coûts sur les émissions «de flux» (talk-shows, jeux, magazines), qui ont déjà baissé de 10 à 15% selon son PDG actuel, Rémy Pflimlin.

Mais il faudra sans doute aller plus loin encore, avec la suppression à l'étude d'un des deux orchestres de Radio France et, au-delà, de chaînes dans les deux entités publiques qui pourraient alors se limiter à une diffusion sur le Web. A France Télévisions, où l'on juge que «c'est une fausse bonne idée de réduire les canaux» et qu'en tout état de cause, «ce sera au politique de le dire», France 4 et France Ô sont sur la sellette. Dédiée à la jeunesse en journée et aux ados le soir, la première a réalisé 1,6% d'audience en février pour une grille à 40 millions d'euros et voit ses scores plonger depuis 2012. Créée en 2005, la seconde, chaîne de la «multiculturalité» et vitrine de la France ultramarine, pâtit d'une audience confidentielle et affiche régulièrement 0% de part d'audience !

Dans la radio publique, Mouv’, l’antenne des jeunes, n’a jamais trouvé sa place depuis sa création en 1997. L’avenir de France Musique, 0,4% d’audience, est également problématique. Le mouvement de migration d’antennes et de chaînes sur le Web afin d’économiser sur les fréquences et les programmes pourrait rapidement s’enclencher.

Informer sur tous les écrans

Les deux entités publiques se sont lancées dans la réorganisation de leurs rédactions afin de réduire leurs coûts et de répondre à la mutation des usages. A Radio France, personne, pas même son PDG, Mathieu Gallet, ne veut entendre parler de la fusion des rédactions proposée par la Cour des comptes. Mais les rédactions sont déjà en partie mutualisées : les envoyés spéciaux et les correspondants travaillent pour l'ensemble des antennes. La fusion des services des sports de France Inter, France Info et France Bleu est en cours et un projet similaire est à l'étude pour le service culture. A France Télévisions, où l'on se félicite - comme dans la radio publique - des bonnes audiences de l'info, le projet «info 2015» prévoit d'aboutir d'ici la fin de l'année à la fusion des rédactions de France 2 et France 3. Au grand dam des syndicats de la chaîne régionale, vent debout contre cette fusion. «Une seule caméra pour toutes les chaînes suffit pour un point presse à l'Elysée, explique un cadre de France Télévision. Cela permettra de mettre le paquet sur d'autres événements où l'on a besoin de varier les angles pour nourrir les différentes antennes. On sort d'une gestion verticale et dépassée de l'info.»

Des programmes renouvelés

C'est surtout le cas à France Télévisions, dont le manque de créativité est régulièrement épinglé par le CSA, qui déplorait récemment «le manque de renouvellement et d'audace» de ses programmes de fiction. La direction met en avant ses succès d'audience dans l'information, et notamment l'émission Cash investigation, qui a montré qu'il était encore possible d'innover dans l'enquête journalistique. Du côté de la fiction, France Télévisions devra faire preuve de «plus de créativité» et de «prise de risque», comme vient de le déclarer son actuel PDG Rémy Pflimlin, candidat à sa réélection (lire ci-contre). Les succès de nouvelles séries comme Chef ou les Témoins sont prometteurs et, depuis 2010, la proportion s'est d'ailleurs inversée avec 70% des budgets de création qui leur sont consacrés, contre 30% pour les téléfilms unitaires. La clé ? Disposer de temps, jusqu'à plusieurs années, pour développer de nouvelles séries de qualité.

Numérique : avantage France Télévisions

France Télévisions est plus geek que le privé. Sous la houlette de Bruno Patino, la télévision publique a mis le turbo sur l'interactivité (avec les services de télévision de rattrapage Pluzz ou Salto, et Twitter en veux-tu en voilà) et les programmes web thématiques comme France TV Info, Culture Box et le tout nouveau France TV Education. Le budget consacré au numérique a triplé depuis 2009, à plus de 80 millions d'euros. Résultat : 1,4 milliard de vues pour les vidéos en ligne en 2014, contre 70 millions en 2010. En comparaison, Radio France, qui en est restée aux podcasts et dont les sites sont notoirement sous-dimensionnés, est à la traîne avec seulement 1% de son budget (6,7 millions) consacré au numérique. Mathieu Gallet, qui s'est fait nommer par le CSA en promettant de «disséminer une culture numérique» dans la Maison ronde, a du pain sur la planche. Hors du numérique, point de salut pour rajeunir l'audience.