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«Radio France est la bande-son de ma vie»

Radio France, la grève et après ?dossier
Alors que la grève aborde son vingtième jour, des auditeurs fidèles, et parfois critiques, racontent leur relation aux stations du service public.
Lors d'une AG à Radio France, le 30 mars. (Photo Kenzo Tribouillard. AFP)
publié le 7 avril 2015 à 9h36

Radio France traverse aujourd'hui son vingtième jour de grève, la plus longue de son histoire. Une nouvelle assemblée générale des salariés mobilisés doit se tenir ce matin à la Maison ronde, alors que la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, a annoncé vendredi «une dotation en capital pour financer la fin du chantier» et appelé le PDG à «rétablir le dialogue» pour sortir du conflit. Mathieu Gallet doit présenter ce mercredi son plan stratégique pour la radio publique lors d'un comité central d'entreprise extraordinaire. Il devrait notamment y annoncer un plan de départs volontaires, qui pourrait concerner jusqu'à 380 salariés.

En attendant, Libération a proposé aux auditeurs de Radio France de témoigner des raisons pour lesquelles ils sont attachés aux antennes de la radio publique plus qu'aux autres. De ce qu'ils trouvent là et pas ailleurs. Certains se sont dits solidaires du mouvement de grève, d'autres, franchement agacés. Les uns sont comblés par ce qu'ils écoutent d'ordinaire, les autres sont plus critiques. Tous défendent une radio de service public riche, aventureuse, dégagée des contraintes publicitaires et d'audience. En voici une sélection.

«Là, on me considère comme un être intelligent»

«Je suis Radio France… Quand l'une des radios ne me convient plus, je passe à une autre. Je cogite dur sur France Culture, ça fait un bien fou l'intelligence ! Je me ressource sur France Musique. Je suis éclectique sur France Inter, je suis locale sur France Bleu dès que je visite mon pays, je l'apprends aussi à la radio… Je trouve sur toutes ces radios des plumes, des voix, des idées qui arrivent à échapper à l'air du temps, à aller plus loin, à nous bousculer pour imaginer un autrement et des ailleurs.» (Gallia, 40 ans, Picardie)

«Auditrice fidèle de France Culture, je ne comprends pas toujours tout ce que j'entends sauf que je comprends que là on me considère d'avance comme un être intelligent. C'est France Culture qui a anobli mes tâches quotidiennes quand j'étais à la maison. Qui m'a accueillie au retour du travail. Qui m'a obligé à écouter toutes sortes de points de vue. J'ai aussi fait de petits tours sur France Musique où j'ai découvert ce que personne ne pouvait m'apporter ici chez moi : musiques du bout du monde, de tous les temps.» (Marie-Ange, retraitée, Lille)

«Peut-être est-ce parce que les jingles des années 1980 de France Info, France Culture et France Inter résonnent encore à mes oreilles… Ou parce que des noms exotiques comme Yolaine de La Bigne et son "époquépique" me rendent nostalgique de mon enfance… Aujourd'hui ces mêmes radios rythment mes journées, et ça termine à la table du repas de famille le dimanche. Parce que oui, nous sommes une famille Radio France.» (Chloé, 29 ans, Lille)

«France Inter, le matin, c'est une façon de recoller avec le monde après une longue nuit. Cette connexion permanente entre notre vie personnelle et le monde extérieur, international est indispensable à l'ouverture d'esprit des jeunes. Il faut absolument sauver la radio publique afin que l'horizon journalistique ne devienne pas le fruit de quotas d'audience systématiques qu'il faut remplir en faisant de l'information-émotion qui ne suscite aucune réflexion intellectuelle.» (Lena, 16 ans, Dinan)

«France Musique, c'est la liberté de l'instruction, de l'éducation, de l'information, dans toute leur diversité et leur originalité. Cette radio m'ouvre la tête, m'aspire vers le haut. Merci de toutes vos idées, de tout votre savoir, de votre généreuse spontanéité.» (Elise, 69 ans, Lyon)

«J’aime la radio de proximité»

«Bien que je trouve énormément de reproches à faire à France Inter, notamment car les journaux sont de plus en plus tournés sur les faits divers, ça reste moins le cas que sur France Info et évidemment moins que sur n'importe quelle radio privée. Le service public radiophonique reste un endroit où la prise de risque, bien qu'elle tende à disparaître, est encore possible.» (Victor, 32 ans, Paris)

«J'aime les grèves sur Radio France… Ça me permet d'aller fureter sur les autres et d'attendre avec impatience le retour de Radio France en intégral avec ses différences selon les radios de service public. Bref il n'y a pas photo, sur les autres on rame et on n'a pas le temps de réfléchir, pub !» (Francis)

«J'ai voyagé, j'ai appris, j'ai rêvé avec France Inter et France Culture… J'écoutais beaucoup Inter, je suis passé à France Culture, radio exigeante, stimulante, profondément humaine. Il passe tellement de choses par la voix… Qui a écouté Passé les bornes y a plus de limitesL'Omelette aux œufsLes Nuits magnétiquesLà-bas si j'y suis et quelques autres savent ce que c'est que Radio France. Radio France, je lui dois une grande partie de ma façon de voir le monde, tout simplement.» (Jean-Marie, 40 ans, Saint-Maur-des-Fossés)

«On n'a pas d'argent pour se payer un concert, ni pour aller dans des conférences, seule nous reste la radio à écouter, avec la diversité de ses programmes culturels. France Inter, j'écoute la nuit, le matin, et depuis que j'ai découvert cette radio je ne la quitte plus. La casse du service public, on voit bien ce que ça donne dans les hôpitaux, à la SNCF, à La Poste.» (Wilma, 57 ans, Seine-Maritime)

«Radio France, parce que je passe 15 heures par jour dans ma voiture. Parce que j'aime la radio de proximité (France Bleu Sud Lorraine) qui m'informe et me fait rire. Qui me permet de donner le sourire à mes patients qui ne peuvent plus aller au match de foot par exemple, ou lire le journal. Parce que j'aime la musique classique et que je n'habite pas Paris, que cela permet d'être au concert quand on n'y est pas.» (Mariette, 40 ans, Lorraine)

«Cette radio n’est pas suffisamment neutre»

«Je pense être devenue accro à Inter vers 18 ans, dans ma première voiture, mon premier autoradio, attendant mon amoureux devant son lycée. C'était Là-bas si j'y suis, l'émission sur les Algériens jetés dans la Seine durant les "événements" (la guerre d'Algérie, quoi). Je fus happée. Et je n'ai plus jamais lâché Inter.» (Lisa, 44 ans)

«Si j'écoute France Inter, c'est parce qu'aux vacances d'été et en week-end, c'était la seule station qu'on captait. J'écoute France Inter et France Info pour deux raisons principalement, la première ce sont les zones blanches, peu de stations s'aventurent sur ces espaces, la seconde raison c'est que je ne me reconnais pas dans la vision du monde que proposent les radios commerciales pour les personnes de mon âge.» (Damien, 22 ans, Nevers)

«J'écoute les différentes radios publiques essentiellement car elles ne diffusent pas (ou quasiment pas) de pub. Maintenant, pour ce qui concerne France Inter en particulier, je pense que cette radio n'est pas suffisamment neutre (elle est même très orientée à gauche), ce qui n'est pas vraiment démocratique, car elle est financée par tous les Français et que ceux-ci sont majoritairement de droite…» (Joyce Line)

«Résidant à Bangkok, j'écoute en permanence France Bleu La Rochelle dès le lever jusque vers midi pour être en contact avec ma région d'origine.» (Bernard, 67 ans, Bangkok)

«Depuis 40 ans, je suis auditeur fidèle de FIP pour l'agrément d'une écoute de diverses musiques sans publicités inopportunes, tout juste distrait par des annonces d'animatrices aux voix délicieuses, pleines d'humour impertinent. Pour France Inter, j'ai tourné le bouton sur "off" depuis la disparition de l'émission de Daniel Mermet. Je continue d'écouter France Info depuis ses débuts quand je roule… L'information y est traitée avec grande rigueur et objectivité. J'aurais aimé pouvoir écouter plus souvent France Musique et France Culture mais ces radios ne sont pas conçues pour les béotiens, leur componction m'emmerde.» (Patrick, 54 ans, Toulouse)

«Eux aussi on va me les enlever ?»

«France Info est ma petite musique de fond depuis des années. J'aime même ce côté répétitif et obsessionnel qui me fait écouter avec intérêt une même chronique plusieurs fois dans la journée… Il y a aussi quelque chose d'humainement rassurant à écouter des personnes en direct à toute heure du jour et de la nuit. J'aime entendre là où le journaliste qui bafouille, rit ou éternue (un must !), s'emmêle les pinceaux sur un sujet qu'il ne maîtrise pas ou manifestement l'emmerde (les résultats sportifs par exemple). France Info est à l'image de nos vies, une répétition évolutive.» (Rui, 34 ans, Arras et Paris)

«J'ai l'impression que c'est grâce à France Culture que j'ai fait des études. J'avais l'impression que l'écouter me permettait de m'asseoir à la table des grands et de faire partie de leur monde. C'est uniquement lorsqu'on s'adresse avec intelligence à chaque auditeur qu'on lui donne la confiance nécessaire pour devenir curieux et intelligent. Aujourd'hui à Berlin, France Culture est mon seul lien avec la France qui me permette de garder espoir en mon pays dans des temps où l'intelligence semble laisser place à la peur.» (Marie, Berlin)

«Je vis à l'étranger depuis vingt ans. J'ai écouté France Inter en grandes ondes. Puis l'avènement d'Internet et de la baladodiffusion : quel bonheur de retrouver mes programmes préférés quand je veux, où je veux. J'utilise parfois dans mon métier (je suis enseignant) les émissions pour enfants (Klassiko Dingo sur Musique, L'as-tu lu mon p'tit loup et Les P'tits Bateaux sur Inter). Quelle radio privée offrirait des cases horaires aux émissions jeunesse ?» (Jérôme, 41 ans, Birmingham)

«J'ai commencé mon apprentissage musical avec Bernard Lenoir (le John Peel français), qui diffusait la musique indépendante que j'aimais tant… Il a disparu des ondes. Plus tard, j'ai retrouvé sur Le Mouv' cette originalité de diffuser quelques musiques indépendantes, ou groupes différents qui ne passaient sur aucune autre bande FM… Ils ont été éradiqués. J'ai découvert FIP et ses fipettes, l'éclectisme de sa programmation mêlant tous les genres de musique et ses lives inoubliables… Eux aussi, on va me les enlever?» (Fani, 41 ans, Rennes)

«C'est encore sur le service public que l'on trouve des émissions culturelles et politiques de qualité que je recherche, et qu'il faut à tout prix préserver. Par contre comme dans tous les services publics, c'est le règne des inégalités, des castes, de la gabegie irresponsable, qui ne peuvent plus durer.» (Alain)

«Radio France est magnifique pour les curieux»

 «J'écoute France Inter ou France Culture. En direct ou en podcast. Parce que ce sont MES radios. Combien de découvertes musicales, littéraires, philosophiques… depuis que je suis branché sur ces ondes ? J'ai ce grand plaisir des émissions attendues. J'ai parfois la nostalgie ou la colère de certaines disparues. J'ai aussi ce petit plaisir qui consiste à ne pas aimer certains animateurs comme ce non-amour de membres d'une famille…» (Olivier, 48 ans, Dijon)

«C'était notre professeure d'histoire-géographie au lycée qui nous parlait souvent de la matinale de France Inter ou des reportages qu'on pouvait entendre sur France Culture. Depuis, moi aussi, je me réveille avec la matinale d'Inter.» (Antoine, 19 ans)

«J'ai grandi avec France Inter qui est comme une partie de ma famille. Bien que je trouve que la qualité de la chaîne a baissé ces dernières années, elle reste encore à mon sens la meilleure radio de France. Beaucoup de choses me manquent (ah, la nostalgie !) comme le Tribunal des flagrants délires, Lodéon, Mermet, Lefort et j'en passe, mais l'antenne a su se renouveler avec de nouveaux talents. Ce qui me dérange le plus c'est la publicité répétitive qui peut faire se poser des questions sur l'indépendance de Radio France.» (Walter, 46 ans, Alès)

«Je vis avec Radio France pour son son inimitable, pour le respect des auditeurs, pour le temps donné aux émissions, aux invités et aux reportages, pour l'attention et le respect des auditeurs, bien sûr pour son absence de pubs et le plus souvent de vulgarité. Tout simplement parce que nous n'avons aucune autre possibilité, même si chaque année je pense que France Inter se dégrade et que France Info mouline, mais que France Culture devient géniale… Radio France est la bande-son de ma vie.» (Catherine, 59 ans, région parisienne)

«Radio France, parce que je n'ai pas l'impression qu'on me méprise. Il y a une qualité de programmes énorme. Entre toutes les chaînes, il y en a pour ma boulimie de sons, de voix, de musiques, d'analyses. Ce que j'aime, c'est apprendre. Radio France m'apprend alors que Morandini et Hanouna m'angoissent. Radio France est magnifique pour les curieux.» (Xavier, 41 ans, Rungis)