La grève à Radio France entre dans son vingt-deuxième jour, et la situation semble plus bloquée que jamais. Mercredi dans la matinée, le PDG, Mathieu Gallet, était auditionné par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale. Pas question de jeter l'éponge : «Je vais continuer sur ce projet, le défendre, le mettre en place avec les collaborateurs», a-t-il affirmé devant les députés. Sauf que le comité central d'entreprise (CCE) extraordinaire devant lequel il devait présenter son projet stratégique a tourné court. Et que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) demande à son tour une médiation. «Ce conflit a trop duré», a jugé la ministre de la Culture mercredi après-midi, annonçant «très rapidement» des «décisions pour renouer le dialogue social».
Que contient le projet de Mathieu Gallet ?
Dans un document de 11 pages dont les syndicats ont eu connaissance mardi soir, le PDG affirme que «Radio France doit se transformer tout en restant elle-même», dans un contexte de «situation financière très dégradée». Pour résoudre cette quadrature du cercle, et alors qu'il est prévu de renforcer la couverture de France Bleu et d'étendre celles de Mouv' et de FIP, le plan annonce une redistribution partielle des fréquences, la fin des émissions en ondes longues et moyennes et, surtout, un plan de départs volontaires qui concernerait entre 300 et 380 salariés.
Autres mesures listées : une «ligne éditoriale refondée» pour France Musique, recentrée sur le classique et le jazz, un «élargissement des secteurs autorisés à faire de la publicité sur les antennes», ainsi qu'une «offre de services complémentaires» avec l'installation de restaurants, d'une librairie et d'un parking. La fusion des deux orchestres n'est, elle, plus à l'ordre du jour. Dans sa lettre à Mathieu Gallet, vendredi, Fleur Pellerin avait exclu cette option - au profit d'un «redimensionnement» des formations musicales.
Enfin, le document en appelle à une dotation complémentaire de l'Etat, avançant que sans cet apport, «les mesures structurelles présentées plus haut seront difficiles - voire impossibles - à mettre en œuvre». Le député (PS) Michel Françaix, membre de la commission des affaires culturelles, a avancé le chiffre de 80 millions d'euros, non confirmé pour le moment, ni par la direction de Radio France ni par le ministère.
Comment les syndicats réagissent-ils ?
«Il n'y a pas un mot de plus dans ce projet que dans ce qui était dit la semaine dernière», indiquait en milieu de journée Valeria Emanuele, secrétaire nationale du Syndicat national des journalistes (SNJ) - qui ne participe pas à la grève, mais appelait, vendredi, à une journée d'arrêt de travail en défense de l'emploi menacé. «Rien n'est dit sur les services logistiques en voie d'externalisation, ni sur le maintien des programmes locaux de France Bleu ni sur les modes de production, notamment sur la continuité des moyens de production pendant les travaux», déplorait pour sa part Philippe Ballet, de l'Unsa.
Convoqué à 14 heures, le CCE extraordinaire a été levé trois quarts d'heure plus tard. Les élus de six syndicats (CFDT, CFTC, CGT, FO, SUD et Unsa) ont lu au PDG une déclaration qui dénonce un projet «lourd de périls graves pour Radio France», affirme que «les fils du dialogue et de la confiance sont rompus», et réitère la demande d'une médiation. «Je m'attendais à ce qu'il nous explique pourquoi on a du mal à se parler, raconte l'élu CFDT Jean-Eric Ziolkowski. C'est la déclaration la plus dure que j'aie jamais lue. On n'a eu aucune réaction.» Plusieurs élus ont quitté la salle.
Dans un communiqué, le SNJ a dénoncé une «politique de la chaise vide» des syndicats grévistes, mais également «les plans de la direction et de la tutelle [qui] mettent nos antennes en danger». Il appuie la demande de nomination d'un médiateur. De son côté, dans une brève déclaration, Mathieu Gallet a appelé les élus «à revenir à la table pour expliquer ce projet».
Que fait le ministère de la Culture ?
Dans cette situation de blocage, toute la Maison ronde a plus que jamais les yeux tournés vers la rue de Valois. Mathieu Gallet lui-même avait dit devant la commission des affaires culturelles qu'il y aurait «peut-être besoin d'une intervention extérieure» pour l'aider «sur le retissage du dialogue social». Avant que la direction ne précise, un peu plus tard, qu'il s'agissait d'un éventuel recours à des experts, et non à la médiation demandée par les syndicats.
Reste que, désormais, le Conseil supérieur de l'audiovisuel - qui, seul, nomme et peut démettre les présidents de l'audiovisuel public - demande lui aussi «la mise en œuvre d'une procédure de résolution des conflits de nature à surmonter la situation de blocage». Devant l'Assemblée nationale, Fleur Pellerin l'a promis : «Je prendrai mes responsabilités, je recevrai les parties prenantes très rapidement, et très rapidement je ferai connaître les décisions que je prendrai.»
Les salariés attendent désormais ses annonces. «Il faut que ça bouge, lance Jean-Eric Ziolkowski. Il n'y a pas d'autre issue qu'une médiation.» «La situation est lourde pour les grévistes comme pour les non-grévistes, soupire le président de la Société des journalistes, Ludovic Piedtenu. Tout le monde soutient le service public la main sur le cœur, mais personne ne l'a empêché d'aller dans le mur.» Il s'agit désormais de le sortir de l'impasse.