Il y a ceux qui promettent d'aller «jusqu'au bout» et quelques autres, plus discrets, qui commencent à s'inquiéter à demi-mots d'une forme de «suicide collectif». Au 27e jour d'un conflit social qui n'en finit plus, la grève a finalement été largement reconduite à Radio France lundi, au terme de deux assemblées générales. Seules 12 mains se sont levées dans l'après-midi pour réclamer la fin du mouvement - 26 se sont abstenues - sur les 350 à 400 salariés réunis dans le studio 105 de la Maison ronde. Et ni les débuts de divergences de vue au sein de l'intersyndicale ni la perspective d'une fin prématurée de la mission du médiateur laissant seuls direction et syndicats dans un face-à-face stérile, n'ont entamé la détermination des grévistes. Bien conscients que leur grève, la plus longue de l'histoire de Radio France, est parvenue à un tournant, ces derniers n'en ont pas moins jugé insuffisantes les propositions du médiateur nommé par le gouvernement. Et lui demandent donc de revoir sa copie. Les syndicats réclament à la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, une prolongation de la médiation de vingt-quatre heures reconductible. «On n'y croit pas beaucoup, explique Jean-Eric Ziolkowski, de la CFDT, mais on essaie. Ce serait dommage d'échouer si près du but, on n'est vraiment pas loin d'y arriver.» «On laisse une nouvelle chance à la tutelle et la direction», déclarait pour sa part Jean-Matthieu Zahnd, de la CGT.
«Cador». Les syndicats ont expliqué aux salariés que le médiateur avait conditionné dimanche la poursuite de sa mission à l'approbation de ses propositions par l'intersyndicale. Un préalable qui a crispé certains participants à l'AG, qui ont vu là une forme de «chantage». «Ils nous ont envoyé un cador, un marathonien, reconnaît le délégué syndical de la CGT en parlant de Dominique-Jean Chertier. Mais quand la ministre [Fleur Pellerin] affirme que le dialogue social est rétabli, il n'en est rien.»Le médiateur - et à travers lui le gouvernement qui en le nommant a fini par accéder à la demande des syndicats - avait clairement fixé le cadre «donnant donnant» de sa mission jeudi soir. Il devait dans un premier temps «permettre dans les plus brefs délais, la fin du conflit, la reprise des antennes et le retour aux conditions normales du dialogue social» comme l'expliquait Fleur Pellerin en lui confiant sa feuille de route. Une mission de pompier social pour laquelle il s'était fixé jusqu'à dimanche soir et dont la réussite conditionnait la deuxième étape, la plus importante : accompagner durant les trois prochains mois la mise au point du contrat d'objectifs et de moyens (COM), qui fixera l'avenir de Radio France pour les cinq prochaines années. «Le deal était honnête de la part de la tutelle qui a ainsi cherché à se rattraper après un incroyable retard à l'allumage, expliquait une journaliste non-gréviste très inquiète de la tournure des événements. Je ne sais pas comment on va se débrouiller maintenant que tous les ponts sont coupés avec une direction déjà cramée. Q ui va s'occuper du plan de départs volontaires de 380 salariés ? Il aurait peut-être fallu y penser.» «Si nous continuons la grève coûte que coûte, nous risquons d'être discrédités aux yeux du ministère et de la direction, mettait également en garde Philippe Ballet, délégué syndical de l'Unsa lors de la première AG dans la matinée. N'oublions pas que l'on a mis trois semaines à obtenir cette médiation». Autre argument plaidant en faveur d'un arrêt du mouvement, plusieurs salariés ont mis en avant les limites du système de grèves tournantes autour des quatre préavis et la proximité des vacances de printemps - qui débutent samedi. Autant de facteurs qui risquent d'affaiblir la mobilisation dans les prochains jours.
Joint par Libération, le médiateur Dominique-Jean Chertier, a confirmé qu'il était allé au bout de sa mission initiale. «On ne sort pas de plus de trois semaines de conflit avec un consensus, ça n'existe pas, c'est impossible, explique-t-il. Mais le texte auquel je suis parvenu après avoir longuement consulté toutes les parties pose les bases d'un rétablissement du dialogue social en formulant une liste de recommandations à mettre en œuvre. Soit on s'accorde dessus, soit ma mission est terminée. Il n'y a pas de plan B.»
«Exemplaire». Assez vague pour constituer un socle minimal sur lequel s'accorder, le texte évoque des instances de direction qui devront être «exemplaires» et rappelle que le «dimensionnement de l'emploi ne doit pas être la seule réponse aux problématiques financières». Mais les syndicats souhaitaient que sa formulation soit plus explicite en ce qui concerne la préservation des emplois et la question de la «syndication» des programmes entre les 44 antennes du réseau France Bleu. «Notre demande est simple : la syndication doit être une exception pour les vacances ou Noël»Pour le moment, dans le texte, il est simplement écrit qu'elle «n'est pas un principe d'action». Bien plus qu'une nuance pour les grévistes qui craignent qu'elle ne s'étende dans les années à venir pour parvenir aux 50 millions d'euros d'économies visés par le PDG de Radio France, Mathieu Gallet, à l'horizon 2019.