Et les grévistes s'emparèrent de la syndication des contenus. Et Paris découvrit la province. C'est l'effet que ça leur fait, aux salariés Radio France de la délégation Grand-Est (soit six locales France Bleu). «Depuis quelques jours, on ne parle plus que des France Bleu, c'est bizarre. Les Parisiens s'intéressent à notre fonctionnement, imagine Sacha (1). Jusqu'à présent, leur parler de nos problèmes, c'était parler chinois.» Sacha est journaliste, précaire, non gréviste forcément. Elle se souvient des remarques entendues à la volée, lors de passages à la Maison ronde, «sur ces provinciaux qui ne font rien et ne savent pas écrire». A Inter et Info les sujets fouillés, «à la coule». A Bleu les reportages à la chaîne. «On compte beaucoup sur nous, pour fournir du contenu au national en cas de gros événement, faire des papiers, des directs, alimenter aussi le Web, Twitter», dit Camille (1), autre précaire. «Et Paris grignote du temps d'antenne, les éditions spéciales se multiplient, comme à l'occasion des départementales. On se retrouve condamnés à attendre que Paris veuille bien nous laisser la main pour un décrochage ! Avant, c'était l'inverse», explique Alex (1), journaliste gréviste.
La syndication, donc, les syndicats sont contre. Elle est devenue leur nouveau cheval de bataille, raison pour laquelle le texte du médiateur a été rejeté. Il s’agit d’une sorte de mutualisation des contenus pour plusieurs locales. Par exemple, une émission de Nancy diffusée en même temps à l’antenne de Metz. C’est une pratique courante en heure creuse et durant les vacances d’été.
«Motivation». Le médiateur aura beau eu écrire que «la syndication n'est pas un principe d'action», préconisant expérimentation et évaluation, c'est niet. La syndication existe déjà, nul besoin d'expérimenter, estiment les salariés. Ils en sont plutôt à faire l'inventaire des dégâts, pronostiquent 80 suppressions de postes sur l'ensemble du réseau national, principalement chez les techniciens et animateurs. «La seule motivation est économique. Dans cette perspective, l'évaluation sera toujours satisfaisante», souligne Guy Wach, animateur à France Bleu Alsace. Il est entré dans la maison du temps de l'ORTF finissante, en 1974. Il craint la disparition de «la connotation régionale» de sa radio : «C'est la raison d'être de France Bleu. La syndication va à l'encontre du projet de proximité. Les auditeurs nous écoutent pour qu'on parle de ce qui se passe ici. Et ce n'est pas parce qu'ils sont moins nombreux dans les heures creuses qu'il faut les négliger, c'est un mauvais calcul.»
Autre exemple de mutualisation existante, l'info routière. France Bleu est réputée : des auditeurs-patrouilleurs interviennent en direct à l'antenne pour renseigner sur le trafic. Durant la syndication, les Nancéiens savent donc tout des bouchons… à Metz. «Il ne faut pas considérer qu'on parle de notre autoroute, mais d'un axe régional, défend Emmanuel Delattre, directeur de France Bleu Alsace et délégué régional du Grand-Est. Cela reste cohérent.»
«Digital natives». Dans la maison strasbourgeoise, France Bleu Elsass - le pendant en dialecte alsacien de la radio locale - est sur la sellette. Elle diffuse sur les ondes moyennes. Le projet stratégique de Mathieu Gallet prévoit d'y mettre un terme. La radio basculerait sur la Toile. Les auditeurs pourront écouter depuis leur ordinateur ou appli smartphone et qu'importe si la majorité des locuteurs alsaciens ne sont pas des digital natives. «C'est une occasion de nous moderniser, de rajeunir notre public», veut croire Emmanuel Delattre. «Depuis une dizaine d'années, il y a un mouvement de centralisation des programmes, une uniformisation sur toute la France, déplore Guy Wach. Pour Paris, l'Est est un territoire cohérent : Reims, Nancy, Belfort, c'est la même chose. Alors qu'ici, Haut-Rhin et Bas-Rhin ont déjà du mal à s'entendre ! La grille est établie par Paris sans concertation : la cuisine, le rendez-vous des experts, l'émission musicale Cette année-là.» Charge à la province de remplir les cases en invitant des gens du cru, le tout intercalé de chansons figurant sur une liste prédéfinie. «Avant, je faisais des magazines sur la culture, l'environnement, le cinéma… Le contenu s'appauvrit. Les animateurs n'ont plus le temps de préparer les heures d'antenne, de sortir sur le terrain avec leur Nagra [magnéto, ndlr]. Alors on prend des auditeurs pour combler, on les fait intervenir à l'antenne… et nos audiences n'ont jamais été aussi bonnes», soupire l'animateur. France Bleu est la deuxième radio d'Alsace en audiences cumulées, juste derrière NRJ, loin devant France Inter.
Aujourd'hui, Guy Wach ne fait plus que du reportage. Il a créé le concept de son émission, le Plus Beau Village. Il arpente la région à la rencontre des habitants des 1 600 villages alsaciens. Il les fait parler de leur commune, des raisons pour lesquels ils y vivent, de leur attachement au lieu. Et ça marche. Son travail, Guy Wach en parle comme d'un privilège.
(1) Les prénoms ont été modifiés.