Jean-Paul Cluzel, président de la Réunion des musées nationaux - Grand Palais, a dirigé radio France de 2004 à 2009.
Pourquoi la grève à Radio France dure-t-elle ?
Les grèves dans le service public sont toujours extrêmement douloureuses si on ne parvient pas à les arrêter très vite. Pourquoi ? Parce que, contrairement au secteur privé où vous avez d’un côté le patron et de l’autre les syndicats, là vous avez souvent un jeu à trois bandes. La troisième bande étant évidemment l’actionnaire, qui est l’Etat. Dans une entreprise privée, généralement, entre le patronat et l’actionnaire, il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes. Avec l’Etat comme actionnaire, c’est souvent plus compliqué. Que le patron de Radio France soit nommé par le CSA alors que les financements viennent du ministère de la Culture ne me paraît pas un facteur fondamental. Dans la solution des conflits compte le degré de confiance qu’il y a entre vous et les représentants du personnel, et quel degré presque d’intimité il y a entre vous et votre actionnaire, l’Etat. Et plus la grève dure longtemps, plus votre actionnaire se défie un peu de vous, plus les organisations syndicales ont tendance à se tourner vers l’Etat. Donc un triangle forcément assez dangereux se met en place.
Quelle sortie de crise voyez-vous, vous qui avez connu une grève de dix-neuf jours en 2005 ?
C'était un mouvement moins compliqué, lié à des revendications salariales de certaines catégories de personnel. A un moment, sous le ministère de Renaud Donnedieu de Vabres, j'ai trouvé qu'une ou deux personnes à l'intérieur du cabinet se mêlaient trop de ce conflit. Je leur ai dit : «Il peut siéger dans mon bureau. Je suis prêt à lui laisser la place. Mais c'est lui ou moi.» Le ministre m'a assuré de sa confiance pour sortir de la grève. Là, le processus s'enlisant rend ce type de rapport direct encore plus compliqué.
Quelle est l’origine du conflit selon vous ?
Le personnel représente les deux tiers du budget de Radio France. Une fois des économies réalisées sur les frais de diffusion, la baisse des ressources peut être aussi compensée par des recettes publicitaires - difficile dans la conjoncture actuelle et avec des concurrents privés peu favorables. Je pense que la dureté du conflit aujourd’hui, qu’on l’habille d’une manière ou d’une autre, vient des économies inévitables sur la masse salariale. On sait bien qu’à partir du moment où on parle d’effectifs, un conflit peut être dur.
La Maison ronde est difficile à gérer ?
Dure et facile : facile parce qu'elle connaît à 90% son chiffre d'affaires le 1er janvier. Difficile inversement, parce que c'est une entreprise de service public, avec pour premier poste les dépenses de personnel qui ne peut pas être une variable d'ajustement. Jusqu'à présent, la solution était le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux. J'ai géré comme cela la stabilité des effectifs tout en faisant des intégrations massives de CDD et d'intermittents du spectacle. Mais je travaillais à budgets constants. Sous ma présidence, contrairement à ce que dit le rapport de la Cour des comptes, les budgets n'ont pas progressé plus que les dépenses publiques, à 1,8% par an, un peu moins que l'inflation. Aujourd'hui, les réductions demandées sont plus importantes et peuvent difficilement se résoudre par un départ à la retraite sur deux.
Quid du chantier ?
Dans ce conflit, il y a une confusion entre la diminution de la redevance et son impact inéluctable sur les dépenses de fonctionnement et donc de personnel ; et d’autre part le financement du chantier de la Maison de la radio. Il faut séparer les deux.
Le dialogue social ?
C’est une maison dans laquelle il faut consacrer du temps au dialogue social. Le climat social n’est pas le même dans la Maison de la radio et dans les stations France Bleu ; les orchestres étant aussi une entité à part. Donc vous avez au moins trois macroclimats. Dans les chaînes de la Maison ronde, vous avez au moins quatre catégories de personnel différentes : les journalistes, les producteurs, les techniciens et les réalisateurs. Et la vision du futur que peuvent avoir ces quatre catégories n’est pas forcément partagée. Pendant mon mandat, je m’étais efforcé de faire converger ces visions. Un de mes derniers actes a été l’adoption d’un projet stratégique, Horizon 2015, qui visait justement donner une évolution des métiers et des missions en fonction de l’ère numérique. Dans l’esprit de ce qui se passe à la BBC, la RTBF, Radio Canada.
Cette crise est le signe d’une mutation ?
Je ne le pense pas. Car, en France, le pourcentage de Français qui écoute la radio une fois par jour est restée stable depuis 2000. Quinze ans de stabilité de l’audience alors que les transformations sont radicales dans l’univers des médias. Ce qui distingue Radio France de toutes les autres radios de service public dans le monde, y compris la BBC, c’est que la part de marché et la part d’audience de l’ensemble du groupe Radio France est resté stable. On ne parle pas, hélas, de celà. Avec un budget du tiers inférieur à celui de la BBC.