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Libération
décryptage

Les géants du Web et Cazeneuve dans la même Toile

La rencontre entre le ministre et des représentants de Google, Facebook ou Twitter a donné lieu à l'élaboration d'une «plateforme de bonnes pratiques» en ligne, permettant notamment le signalement d'urgence de contenus illicites.
Photo de Loi sur le renseignement : Cazeneuve sort les crocs
publié le 22 avril 2015 à 20h31

En février dernier, Bernard Cazeneuve ne cessait de répéter que «90% de ceux qui basculent dans le terrorisme basculent par Internet». Si le chiffre choc – pour le moins sujet à caution – ne semble plus, ces derniers temps, avoir autant ses faveurs, la lutte contre les contenus jihadistes en ligne est, elle, plus que jamais d'actualité. Le 9 avril, un conseiller du ministre signalait qu'une vingtaine de sites avait déjà fait l'objet d'un blocage administratif (c'est-à-dire sans passage par le juge judiciaire). Et les discussions avec les grandes plates-formes du Web, entamées il y a deux mois par un déplacement dans la Silicon Valley, se poursuivent.

Ce mercredi, le ministre de l'Intérieur rencontrait à la mi-journée des représentants français d'Apple, Facebook, Microsoft, Google et Twitter, ainsi que l'Association française des fournisseurs d'accès et de services internet (AFA). Non pas pour aborder le très contesté projet de loi sur le renseignement – sur le sujet, seul Google s'est officiellement exprimé, se contentant pour le moment d'indiquer qu'il n'est «pas en accord avec tous les articles du projet de loi du gouvernement» – mais pour poursuivre dans la «logique de coopération et de concertation» initiée en Californie et poursuivie lors de plusieurs réunions, juge l'un des participants à la rencontre.

Une «plateforme de bonnes pratiques»

A en croire plusieurs participants, la rencontre s'est «très bien passée». «Cela a surtout permis de mettre à plat l'existant», indique Carole Gay, responsable des affaires juridiques et réglementaires à l'AFA (qui regroupe notamment Orange, SFR, Bouygues Telecom, Google, Facebook et Microsoft). Un existant qui, dit-elle, fonctionne bien de son côté: «Point de contact», le dispositif de signalement de contenus illicites créé par l'AFA en 1998, «qualifie juridiquement les contenus signalés et, s'ils sont illégaux, les transmet à Pharos», la plateforme de signalement du ministère. Reste que pour la place Beauvau, la coopération de certains grands acteurs américains laisse encore à désirer.

La «plateforme de bonnes pratiques» adoptée lors de la rencontre prévoit donc «la création d'un label permettant le retrait plus rapide des contenus illicites» – autrement dit, un signalement d'urgence pour permettre un traitement accéléré, indique l'entourage du ministre. Jusqu'ici, les forces de l'ordre devaient parfois se débattre avec des procédures en anglais pour demander le retrait d'un contenu : des formulaires standardisés et préremplis seront désormais à leur disposition. Histoire d'y voir plus clair, de ne pas contacter la direction de la communication d'un réseau social pour savoir comment procéder… Et, côté fournisseurs de services, d'augmenter le taux de réponses aux demandes de suppression. Au deuxième semestre 2014, Twitter a accédé à 43 % des demandes de blocage émanant des autorités françaises. «C'est important que des aspects opérationnels soient abordés, après un temps de communication très fort», souligne un participant.

Promouvoir les «contre-discours»

Le «renforcement de la formation destinée aux policiers et gendarmes» et l'harmonisation des formulaires en matière de réquisitions judiciaires sont également au programme. Surtout, un «groupe de contact permanent» entre le ministère et les acteurs du Net – sous la houlette de Jean-Yves Latournerie, le préfet chargé de la lutte contre les cybermenaces, nommé en décembre dernier – va être mis en place. Il devrait se réunir à partir de début mai, au minimum une fois par mois, pour discuter en détail des modalités de coopération.

Au-delà de «nettoyer des contenus», la discussion a également porté sur la promotion de contre-discours, selon un représentant des acteurs consultés. «Le contre-discours est très efficace», assure Michelle Gilbert, chez Facebook, qui cite des partenariats antérieurs pour lutter contre le harcèlement visant les jeunes. C'est l'autre face de la pièce, plus flatteuse : les autorités et les acteurs de l'Internet ne se présentent pas seulement en censeurs, mais en relais de discours pronant la tolérance ou la déradicalisation.