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Libération
Chronique Médiatiques

Léonard Trierweiler, héros pipolitique

. (Illustration Stefano Rossetto)
publié le 3 mai 2015 à 17h26

L'événement avait échappé à la presse internationale, mais Léonard Trierweiler vient d'avoir 18 ans. Il est majeur. Il peut enfin accorder sa première interview. «Moi, je t'ai découvert sur Twitter, raconte Mouloud Achour, qui a décroché la timbale pour sa web TV Clique.tv (groupe Canal +). Avec Louis Sarkozy, c'était sur le ton de la vanne ou c'était sérieux ?»

Des mois déjà que les deux coquelets, le fils aîné de Valérie Trierweiler et le plus jeune fils de Nicolas Sarkozy, se chamaillent sur Twitter, sous l'œil émoustillé des journalistes pipolitiques qui flairent la bonne histoire. Pour la première fois, ces agaceries reçoivent l'onction d'une interview télévisée, dans une émission comme les grands, ou presque. Mais, non, rectifie Léonard. Rien de politique dans ces agaceries. «J'envoie un tweet comme ça, je vois que ça marche bien, les gens rigolent, moi, je me tape une barre derrière mon ordi.» S'il admet volontiers «se taper une barre», à noter que le jeune homme reste discret sur sa vie sexuelle. «Tu réponds si tu veux, mais c'est comment de ken [faire l'amour, ndlr] à l'Elysée ? Ça doit être cool, non ? Ça doit être un délire ?» demande Achour. Sur ce point, no comment de Léonard.

Mais, la vraie curiosité d'Achour porte évidemment sur François Hollande vu du clan Trierweiler, sujet porteur comme on le sait depuis le succès planétaire du livre de maman. «Tu l'as vu au plus près…» «Je l'ai vu au plus près, ouais. Je sais pas comment ça se fait que ça marche pas, parce que j'ai l'impression qu'il a l'air sincère, qu'il fait tout pour que ça aille bien, qu'il travaille tout le temps, mais rien se passe.» «C'est vraiment le mec normal qu'il dit qu'il est ?» «Ouais, c'est même un mec trop normal. Genre, parfois à l'Elysée, ça lui arrive d'éteindre toutes les lumières lui-même et tout, genre ça coûte trop cher machin. Mais, bon, il doit changer. On peut pas être normal, et être président.»

Qu’est-on en train de regarder ? Une interview plutôt sympa, entre djeuns, d’un ado de 18 ans par quelqu’un qui pourrait être son grand frère. Une friandise totalement dépourvue d’intérêt politique. L’objet a toute sa place dans une émission de divertissement. Ce qui le transforme en monstruosité, c’est la suite. Le tourbillon des reprises, qui se déchaîne à peine Canal + a-t-elle diffusé un teaser de l’émission, portant évidemment sur le passage Hollande.

Une recherche dans Google News donne une idée de l'étendue du désastre. Chacun trouve titre à son pied. Logiquement, la presse purement pipole titre sur les relations avec la partie Sarkozy. Pure People : «Léonard Trierweiler, ses clashs avec Louis Sarkozy». Closer complète par une citation : «Louis Sarkozy n'est pas une cible.» Comment a-t-il vécu l'affaire Gayet ? «Ce qui comptait, c'était ma mère.» A noter que personne ne relève que l'interviewé refuse de s'exprimer sur sa vie sexuelle. Dommage. L'information est certainement signifiante.

Mais, la presse sérieuse, elle aussi, a trouvé sa pitance. Marianne a opté pour le même titre que Gala : «La première fois que j'ai vu Hollande, il nettoyait notre piscine». Le Point, neutre : «Léonard Trierweiler se confie et évoque François Hollande». L'Obs (vidéo du jour) : «Léonard Trierweiler, sa première interview télé». Mais qu'a-t-il dit ? «Hollande est un mec trop normal» (citation choisie par le Figaro et Libération, opportunément complétée par le titre de Ozap : «On ne peut pas être normal et président»). L'Agence France-Presse, elle, a choisi de se cramponner à la dimension la plus politisable de l'interview, en titrant sa dépêche : «Léonard Trierweiler veut voter pour Hollande s'il est candidat en 2017».

Que Mouloud Achour diffuse cette interview, rien de plus normal. Que ce témoignage soit repris par toute la presse, AFP en tête, selon les codes d’une déclaration politique normale, faite par un élu politique normal, donne une idée de l’état du journalisme en France. Cette situation n’est pas une fatalité. Il y a quelque part des responsables. Il y a des journalistes, à l’AFP, qui non seulement se posent la question de savoir s’il faut faire une dépêche pour informer la planète que Léonard Trierweiler ne comprend pas pourquoi la politique de François Hollande ne marche pas, mais répondent par l’affirmative. Il y a des journalistes qui rédigent la dépêche, des chefs qui la relisent, peut-être la corrigent, et la diffusent. Il y a, dans tous les médias français, des personnes physiques, peut-être détenteurs de cartes de presse, peut-être même titulaires d’un CDI (n’ayant donc pas l’excuse de la précarité) qui décident qu’il est important d’accorder de la place à l’avis de Léonard Trierweiler et choisissent le titre, se demandent quel angle la piscine ? Les tweet-clashs ? Le mec trop normal ? fera le plus de clics.

«Mon rêve, dit Achour, c'est que la prochaine fois qu'on se voit, on invite Louis Sarko.» Rendez-vous est pris.