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Libération

Le Panthéon ou la République du Sors d’ici

Malgré notre absolue nécessité de héros, le discours présidentiel ne prend pas.
publié le 31 mai 2015 à 18h26

Au-dessus de la tête de Hollande accueillant les panthéonisés, ce n'est pas seulement le grand dais blanc républicain qui se déploie. Invisible, tranchant comme une épée, scintille aussi le fameux «Entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège» de Malraux accueillant Moulin. La référence est dans toutes les têtes, l'image a été rediffusée partout, la barre est fixée. Sera-t-il à la hauteur ? Va-t-il égaler le modèle inégalable ?

On aimerait y croire. La panthéonisation de Pierre Brossolette, Jean Zay, Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion nous place dans la position étrange du citoyen de bonne volonté qui s’efforce de ne pas voir les maladresses, les coutures, la récup politicienne. On en a tellement besoin, de héros à admirer, de saints laïcs, on est tellement en manque, c’est tellement la famine, dans ce paysage où pullulent crapules, affairistes, marchands de luxe rachetant les journaux, élites fatiguées, choix raisonnables, renoncements, compromissions, découragements, accommodements, et aussi prophètes à kalachnikovs, chasseurs de prophètes, concurrents acrimonieux sur le marché victimaire, partout cette médiocrité épuisante, vidante, décourageante, alors oui, donnez-nous des héros, des magnifiques, des prêts au sacrifice, des qui n’hésitent pas, des qui s’embarquent pour Londres en bravant la tempête, oui, mille fois oui, et même de Gaulle en téléfilm grillant ses clopes en bandes molletières, racontez-nous que Zay a créé le festival de Cannes et les programmes interdisciplinaires au collège, oui, mille fois oui, oui aux images d’Epinal, oui aux chromos, oui aux bondieuseries laïques, outrageusement laïques, excessivement laïques, à la folie, oui aux fabrications de toutes pièces, oui on est prêts à mille aveuglements, à mille renonciations, on voudrait faire taire les petites voix sceptiques en soi, ce ricanement toujours prêt, on voudrait adhérer, se laisser prendre par le pacte de narration, par l’illusion théâtrale, on voudrait, c’est comme une expérience d’hypnose devant le mage, on est follement de bonne volonté, on ferme les yeux, on aimerait tant se laisser bercer, tout juste si on n’a pas fumé avant un joint ou deux pour être plus disponible, on essaie, on essaie, on aura tout essayé.

Et puis non. Hollande égrène les paragraphes, il y met le ton, il sait faire, il a répété, mais non. Bide. Le corps refuse l’obstacle.

Qu’est-ce donc qui ne marche pas ? Evidemment, il y a ces doigts patauds de l’Etat, ces gros doigts de policier ou de soldat, quand il tente de sculpter du mythe antidéclin, avec ses bataillons de plumes présidentielles, de storytellers appointés, de scénographes sur commande, d’artistes officiels. Il ne sait pas y faire, l’Etat, pour raconter des histoires.

Tiens, par exemple (aucun rapport) : le même jour, on apprend que, pour lutter contre la radicalisation des jihadistes, le gouvernement voudrait recruter «des bataillons de community managers». «Bataillons», c'est Manuel Valls qui a prononcé le mot. Des bataillons : Valls est trop modeste. Ce sont des régiments, des corps d'armée entiers qu'il pourrait lever. Après quelques mois d'entraînement, on pourrait même les faire défiler le 14-Juillet, entre les sapeurs-pompiers et les fiers barbus de la Légion étrangère. On leur souhaite bonne chance, aux bataillons de storytellers de l'Etat.

Mais à propos du Panthéon, ce n’est pas seulement ça. Encore une fois, on ne demanderait pas mieux que d’être bon public. C’est aussi que le discours politique contemporain ne nous propose plus que de l’accommodement aux possibles, de l’absence d’alternatives, l’exact contraire des «idéaux de la Résistance» tels qu’exposés par exemple dans le programme du Conseil national de la Résistance. Hollande a beau recruter dans son discours les migrants de Méditerranée, c’est l’image d’une patrouille de police qui se superpose, et les scènes des migrants de Calais jetés par les CRS par-dessus les rembardes de l’autoroute, et les discours d’implacable fermeté à l’égard des sans-papiers, et le verdict de justice renvoyant Zyed et Bouna à leur transformateur EDF, et tout ce discours implicite de l’Etat qui, depuis des années et des années, répète tout ce qui n’est ni fouquetisable ni macronisable, exactement le contraire : sors d’ici.