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Spoilers

«Game of Thrones», saison 5, épisode 10: tous les hommes doivent mourir

Game of Thronesdossier
Attention, cet article dévoile des éléments clés de l’intrigue. La lecture est à vos risques et périls.
«An innocent girl in a living hell. That's the story of the Hurricane.» (HBO/OCS)
publié le 16 juin 2015 à 11h15

«Oh mein Gott !» Il faut bien la puissance de la langue allemande (et un petit jeu de mot que l'on ne s'était pas encore autorisé) pour qualifier l'enchaînement des événements d'un épisode final riche comme un dîner de fêtes chinois : une succession de plats tous plus étonnants, voire un peu trop bizarres, les uns que les autres.

«Demeure, il faut choisir / Et passer à l'instant / De la vie à la mort / Et de l'être au néant», dit Hamlet, traduit par Voltaire dans sa dix-huitième lettre philosophique sur la tragédie. On assiste, en effet, scène après scène à un long basculement du monde si c'était encore possible. Rarement, à part peut-être lors du geste messianique du Roi de la Nuit, l'impossibilité d'un futur joyeux nous est apparue aussi prégnante. Ce n'est pas la fin de l'histoire à la Fukuyama à laquelle on assiste, mais à son écroulement complet.

«Dieux cruels ! S'il en est, éclairez mon courage», continue Hamlet et pour Game of Thrones (GoT), Stannis. La neige fond, le temps s'améliore. Le sacrifice iphigénien de sa fille semble avoir été un succès. Le roi Baratheon va pouvoir attaquer Winterfell. Mais, à peine le temps de respirer et on comprend que c'est mal parti. Comme de vulgaires caporaux Blutch des Tuniques bleues, les mercenaires − la moitié de son armée − ont déserté avec les chevaux. Un malheur n'arrivant jamais seul, il découvre sa femme pendue à un arbre (bien haut d'ailleurs, on se demande comment elle s'est débrouillée toute seule). Comme Eurydice dans Antigone de Sophocle, l'épouse de Créon qui n'avait pas supporté la mort de son fils Hémon, elle ne pouvait pas se remettre du bûcher de sa fille et disparaît, telle une sorcière noire dans une vision sépulcrale. Sentant le vent tourner, Mélisandre, la sorcière, la vraie, prend la poudre d'escampette.

Stannis, au fond de lui, sait que tout est terminé. Il décide tout de même de marcher vers la place forte du Nord. A peine arrivé avec son armée au pied des remparts, une bataille de Camerone inversée commence, où les assaillants sont bien inférieurs en nombre. La cavalerie Bolton encercle les pauvres gus épuisés. C'est un véritable massacre, à faire passer Azincourt pour une partie de croquet du dimanche. Tandis que, quelques heures plus tard, Ramsay achève avec jouissance les blessés graves, Stannis est toujours vivant. Blessé, il s'assoit contre un arbre. Brienne de Torth apparaît et, après un long discours mélodramatique et solennel, le condamne à mort. «Fais ton devoir», lâche simplement le tueur d'enfants. L'épée s'abat. Comme les habitants de la perfide Albion, Stannis a compris que brûler des femmes ne donne jamais la victoire finale. A Winterfell, toutefois, enfin une bonne nouvelle. Sansa, profitant de la confusion ambiante, tente de s'enfuir. Un instant, on pense qu'elle va être arrêtée par l'amante de Ramsay qui semble avoir sacrément envie de la torturer. Mais Schlingue redevient Theon, c'est-à-dire un humain, et la balance par-dessus le bastingage. Ensemble, main dans la main, «tu as confiance en moi ?» semble-t-il lui susurrer tel Aladdin à Jasmine, du haut des remparts, ils sautent dans ce qu'on espère être les douves gelées. C'est beau comme les frères de Jurassic World plongeant dans les chutes pour échapper à l'Indominus Rex.

«Faut-il vieillir courbé sous la main qui m'outrage / Supporter ou finir mon malheur et mon sort ? / Qui suis-je ? qui m'arrête ? et qu'est-ce que la mort ?», poursuit Hamlet et, pour GoT, Arya Stark. L'affreux pédophile, Meryn Trant, s'amuse à fouetter des jeunes filles dans le bordel de Braavos. Une seule ne plie pas sous les coups. Le chevalier congédie les deux autres pour s'occuper d'elle avec plus d'application. Il ne sait pas encore que sous ce joli minois de blondinette se cache Arya. Dans une parodie de Volte-face de John Woo, l'adolescente dévoile son vrai visage et lui plonge sa dague dans les deux yeux, avant de le transpercer de multiples coups de couteau. Puis, avec une mise en scène très violente rappelant les égorgements YouTube de Daech, elle passe derrière lui, lui explique pourquoi il doit mourir, remercie les Dieux que cela puisse être de sa main et lui sectionne la carotide. A son retour à la Demeure du Noir et du Blanc, elle est tancée par Jaqen H'ghar pour avoir tué la mauvaise personne. Sous ses yeux, pour la punir, il se suicide avant de réapparaître derrière elle. L'homme mort, à terre, a plus de visages qu'un ado a de pseudos sur 4chan. Il a même celui d'Arya, ce qui la stupéfie, comme Luke Skywalker découvrant sa propre tête dans le casque de Vador dans Dagobah, la grotte du Mal. Voyant son propre être comme si c'était la première fois, elle perd progressivement la vue. «Mes yeux, mes yeux», hurle-t-elle (une belle référence à Phoebe et Rachel dans Friends découvrant l'amour entre Monica et Chandler). Elle est condamnée à ne devenir personne, à n'être, comme dans un tableau de Bruegel, qu'une aveugle suivant les autres aveugles, sans possibilité de sortir de la caverne. A moins qu'un jour un messie lui rende la vue ?

«Après de longs transports, c'est un sommeil tranquille / On s'endort, et tout meurt», continue Hamlet et, pour GoT, Ellaria Sand. Sur les quais de Lancéhélion, on se dit au revoir presque joyeusement. Un peu comme après un mois de vacances sur l'île de Ré en août, les Parisiens de Port-Réal, Jaime et surtout Bronn, promettent aux jeunes filles locales qu'ils se reverront, que leur amour est plus fort que toutes les distances, mais on sait comment cela va se passer. Deux snapchats sexuels, une lettre manuscrite vaguement enflammée pour faire romantique et cela va doucement se déliter. Après tout, il y a le bac à passer à la fin de l'année prochaine. Comme convenu, Myrcella emmène son petit rétais, Trystan, à la capitale. Tout semble aller pour le mieux. Jaime avoue à sa fille qu'il est son père et elle lui répond qu'elle le savait et qu'il n'y a vraiment aucun problème, comme dans les plus belles scènes des tags #stepdaughter et #incest de Xvideos. On peut supposer ainsi que si Dark Vador l'avait avoué à Leia et pas à Luke, le sort de l'Empire en eut peut-être été changé. Hélas ! Myrcella se met à saigner abondamment du nez et s'effondre dans les bras de Jaime. Ellaria Sand, en l'embrassant au moment du départ sur le ponton, l'a empoisonnée. Pire que rentrer de vacances avec la chtouille. Et, comme d'habitude, Jaime Lannister qui est à Game of Thrones ce que Franck Dubosc est à Camping, n'a rien vu venir. Bolos.

«Ô mort ! moment fatal ! affreuse éternité ! Tout cœur à ton seul nom se glace, épouvanté», lance Hamlet, et, pour GoT, Tyrion. Dans la salle du trône de Meereen, il remarque à juste titre qu'il a réussi, pour le moment, à survivre, et ce n'est pas si mal du tout. Il se moque, aussi, gentiment, de Jorah Mormont et Daario, et de leur amour éperdu pour Daenerys. «C'est comme sur Tinder, leur dit-il, elle est trop bien pour vous, tout "match" est impossible. Et, ajoutant la phrase la plus importante de l'épisode et à laquelle on ne peut que malheureusement souscrire : «On désire toujours la mauvaise». Il est décidé toutefois que les deux chevaliers deviendront errants pour aller retrouver Daenerys qui n'est pas revenue de sa balade en dragon. Ils partent dans le désert, comme Don Quichotte et Sancho Panza dans les terres de Castille-La Manche. Tyrion reste seul en charge des affaires politiques de la cité avec Ver-Gris et Missandei. Heureusement, Varys réapparaît et propose ses services de maître espion pour contrer les velléités insurrectionnelles des fils de la Harpie. Un dialogue savoureux s'engage entre les Laurel et Hardy de la politique de Westeros. Ils sont peut-être les derniers à se souvenir que tout cela n'est qu'un jeu. Dans le fond, Tyrion est un fan de Sim City. Après avoir bien commencé, puis finalement perdu, le contrôle de Port-Réal, il relance une partie à Meereen. Avantages : grand port, main-d'œuvre abondante, zones résidentielles à fort potentiel immobilier. Inconvénients : industrie spécialisée dans l'esclavage à reconvertir, absence de loisir, niveau d'insécurité inquiétant.

Pendant ce temps-là, Daenerys est seule sur sa montagne. Drogon est dans le même état qu'un vieux Tupolev après une tempête en Sibérie, il n'a aucune envie de repartir d'ailleurs (petit aparté : mais dans un combat entre lui et l'Indominus Rex, qui gagne à votre avis ? Il crache des flammes et vole, mais il est bien moins épais). La Khaleesi décide de rentrer par ses propres moyens, à pattes, quand surgit une multitude de cavaliers, une bien belle horde d'or. Ils semblent être des Dothrakis et cela sent la reconstitution de ligue dissoute comme à la belle époque de la saison 1. A moins qu'elle soit faite prisonnière, Daenerys en Kubilai Khan, cela a toujours été son meilleur rôle. Reste pour elle, comme dans le poème de Coleridge, à trouver son Xanadu et à se méfier des demon-lovers.

«Eh ! qui pourrait sans toi supporter cette vie / De nos Prêtres menteurs bénir l'hypocrisie / D'une indigne maîtresse encenser les erreurs / Ramper sous un ministre, adorer ses hauteurs / Et montrer les langueurs de son âme abattue / À des amis ingrats qui détournent la vue ?», se plaint longuement Hamlet, et, dans GoT, Cersei. A bout de forces dans sa cellulle, elle décide d'avouer. Mais ne reconnaît qu'une partie de ses crimes, l'adultère avec Lancel Lannister. Le Haut-Moineau en est bien conscient. Ce personnage a la rigidité vertueuse d'un Robespierre et d'un Saint-Just et la perversité d'un Rodrigo Borgia. La reine mère, en attendant son procès, est condamnée à devoir marcher nue dans les rues de Port-Réal, entre le temple et le Donjon rouge, les cheveux coupés comme si elle avait couché avec un Allemand ; ça doit bien faire rire Hortense Larcher. De toutes les scènes de morts et tragédies de cet épisode, c'est la plus belle, la plus dramatique, sans doute la plus choquante aussi (car trop longue ?). La foule avide de sang la conspue à qui mieux mieux et lui lance tout ce qu'elle peut. Des hommes fous montrent leur sexe (ce qui est suffisamment rare dans les séries américaines pour être signalé). Cersei porte sa croix de la honte dans sa montée du Golgotha, une descente aux enfers pour elle. Elle est en sang, elle pleure, elle tremble, mais elle reste digne. En un instant, alors qu'elle était l'un des personnages les plus détestés de la série, tout lui est pardonné. Elle est toutes les femmes qui ont été sacrifiées sous l'autel de la bien-pensance et du système patriarcal, elle est martyre. Elle finit par arriver aux portes du château où elle tombe dans les bras d'un chevalier inconnu et masqué ayant fait vœu de silence, une créature diabolique de Dr Frankenstein à elle. «Cersei, Cersei outragée ! Cersei brisée ! Cersei martyrisée ! mais Cersei libérée !», murmure-t-on dans des sanglots longs de l'automne qui blessent nos cœurs d'une langueur monotone. On remarquera qu'une nouvelle fois, le peuple est représenté de manière extrêmement négative, ce qui ne va pas faire plaisir à Mélenchon. A croire que les scénaristes d'Assassin's Creed Unity conseillent ceux de la série d'HBO. Si Game of Thrones ne se prive pas de critiquer le jeu politique et les bassesses des nobles, le salut ne viendra pas du peuple. Dommage.

«Mais le scrupule parle, et nous crie : "Arrêtez. Il défend à nos mains cet heureux homicide, Et d'un Héros guerrier fait un chrétien timide"», termine Hamlet traduit par Voltaire, et, malheureusement, le long du mur, personne n'est là pour crier «Arrêtez !». Après le départ de Sam Tarly avec Vère pour Villevieille afin qu'il devienne mestre, Jon Snow tombe dans un guet-apens. Attiré à l'extérieur de son bureau par ses pairs, devant une croix où le mot «traître» est inscrit, il est poignardé. Comme dans le Crime de l'Orient-Express d'Agatha Christie où chacun y va de son coup de couteau contre M. Ratchett car tous ont quelque chose à lui reprocher, les Corbacs se relaient, sadiques. «Shame» à eux ! Le plus jeune de tous l'achève. Jon Snow, César trahi par les siens, n'a même plus la force de lâcher un «Tu quoque mi fili» de bon aloi. Il s'effondre sur la neige blanche, une mare de sang apparaît. L'épisode s'arrête là, ainsi que la saison, et avec elle nos drames et nos espérances. «Pour la garde !», lancent les conjurés. Mais, pour l'humanité, que reste-t-il ?

PS: Pour tous ceux que tous ces morts attristent, à noter qu'il y a plusieurs motifs d'y croire encore. Au mur, Mélisandre est revenue. Il est possible qu'elle sauve Jon Snow, elle en est capable, d'autant que sa mort (ou non), dans le livre, est plus ambiguë. Myrcella, elle, n'est «que» mourante et l'exécution de Stannis est filmée hors-champ. Sait-on jamais.

Bilan de la saison

Ils sont bien partis pour gagner le jeu des trônes

Daenerys, évidemment, si elle n’est pas faite prisonnière et que Sancho et Panza la retrouvent.

Littlefinger, discret mais extrêmement efficace.

Les Bolton, qui, même s’ils ne semblent intéressés que par le Nord, ont, mine de rien, une armée puissante et n’ont plus beaucoup de concurrence.

Le Haut-Moineau, même si on a du mal à l’imaginer dépasser le stade du prédicateur de quartier qu’il reste pour le moment.

Les marcheurs blancs, nos favoris, pour purifier ce monde décadent.

Ils sont en mauvaise position pour gagner le jeu des trônes

Les Lannister, Cersei humiliée, Tommen faible, Myrcella mourante, c'est l'hécatombe pour, si c'était Dallas, l'empire Ewing. Seul Tyrion finalement s'en sort bien.

Les Tyrell, avec Margery et son frère, en prison.

Ils jouent un double jeu

Les Martell, qui n’ont pas encore dévoilé toutes leurs cartes.

Les Greyjoy, à part Theon, oubliés par les scénaristes.

Ils sont (sûrement) morts et les acteurs qui les incarnent peuvent chercher un autre job

Myrcella Lannister, Jon Snow, Stannis, sa femme et sa fille, Mance Rayder, Hizdahr (le promis de Daenerys à Meereen), ser Barristan Selmy.

Si l'hiver n'est pas venu aussi chez nous, on se retrouve l'année prochaine ! Et, n'oubliez pas, comme Jon Snow, «You know nothing», «Vous ne savez rien».