Les deux patrons de l’audiovisuel public sont confrontés à des situations en grande partie similaires: baisse des audiences, vieillissement du public, concurrence des contenus sur Internet, recul des sources de financement traditionnelles avec la baisse des dotations de l’Etat et de la publicité. Ils doivent impérativement adapter leurs modèles afin de garantir la pérennité de leurs entreprises et l’avenir des milliers de salariés qui y travaillent.
Mais dans un secteur audiovisuel en pleine mutation, de plus en plus fragilisé par le tsunami numérique et les nouveaux usages, qui déstabilisent des pans entiers de l’économie, il n’y a pas que le service public qui soit entré dans une zone de fortes turbulences.
A l’instar des grands câblo-opérateurs américains, la référence de la télévision payante qu’est Canal + doit elle aussi faire face à un effritement de son modèle, et investir toujours plus dans des programmes «premium» afin de se distinguer de la concurrence, de plus en plus pressante, de Netflix et de BeIN Sports.
TF1, qui régnait autrefois en maître sur la télévision, a enregistré cet été son onzième mois consécutif de baisse d’audience, qui s’établit désormais à 20,5 % de part de marché - la plus faible de toute son histoire. De plus en plus concurrencées par la myriade de petites chaînes de la TNT, les grandes chaînes ne cessent de reculer.
Même si le média radio est celui qui résiste le mieux, notamment grâce aux habitudes matinales encore bien ancrées de millions de Français, il ne faut pas être grand clerc pour prédire que là aussi, les traditions n’ont rien d’immuable à l’ère du tout-connecté et du mobile. Il est minuit moins cinq pour les grands du PAF, pour lesquels le risque de se faire zapper du paysage n’a jamais été aussi grand.
France Télévisions, nouveau style
Il faudra attendre encore un peu pour savoir comment Delphine Ernotte va attaquer la face nord de France Télévisions, ce mastodonte aux cinq chaînes, 2,8 milliards d’euros de budget et 10 millions d’euros de déficit attendu fin 2015, en raison notamment de la baisse des recettes publicitaires.
L’ex-patronne d’Orange France a su convaincre le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qu’elle était la meilleure pour faire mieux avec moins, et mener à bien les lourds chantiers du premier groupe audiovisuel français : rajeunissement de l’audience, transformation numérique et réforme de France 3. Pour l’heure, elle se coule dans le moule de son prédécesseur et dans la grille, sans nouveautés majeures, préparée pour la rentrée. Les audiences sont plutôt bonnes, tant pour le 20 heures, proche de ses records, que pour la fiction, avec des succès comme les Témoins ou Disparue, et le climat social, bien plus calme qu’à Radio France.
Quelques têtes ont bien été déjà renouvelées : Caroline Got (passée par TMC et NT1) à la stratégie et au numérique en remplacement de Bruno Patino, Michel Field (ex-LCI) à France 5, et Vincent Meslet (Arte) à France 2. Quelques projets esquissés, aussi : une nouvelle chaîne d’information en continu, une refonte unifiée des plateformes web consacrées à la culture, l’information, le replay ou l’éducation… Mais pour le reste, c’est motus et bouche cousue depuis qu’elle a été choisie par le CSA. Delphine Ernotte va donc devoir détailler sa stratégie, base du dialogue qui va s’engager avec la tutelle publique pour la rédaction du nouveau contrat d’objectifs et de moyens 2016-2020. Avec ses méthodes issues du privé, la nouvelle présidente pourrait par exemple, selon les Echos, changer la structure managériale du groupe public en ajoutant la responsabilité des programmes et de leurs budgets aux directeurs d’antenne.
Confrontée à la baisse de la dotation publique (qui baissera de 300 millions à l’horizon 2015), Ernotte ne pourra cependant pas se contenter de poursuivre le non-renouvellement des départs et la politique de modération salariale de la direction actuelle. D’où son idée de faire du groupe, à l’instar de la BBC, un véritable exportateur de programmes, en réformant les relations qui le lient à une myriade de producteurs grands et surtout petits, de manière à récupérer la gestion des droits de leurs catalogues diffusés sur les différentes antennes. Une nouvelle direction regroupant l’ensemble des activités commerciales du groupe (production, distribution et publicité) devrait voir le jour en ce sens.
France Télévisions, qui pèse pour 60 % dans les investissements des diffuseurs, cherche, comme TF1, M6 et bien sûr Canal +, à élargir ses sources de recettes en remontant, comme disent les spécialistes, «dans la chaîne de valeur». Un changement qui nécessiterait une réforme en profondeur de l’écosystème de la production audiovisuelle dans l’Hexagone, laquelle ne ferait pas que des gagnants.
Radio France, l'ombre du conflit
Quelle stratégie pour la radio publique, alors que la longue grève du printemps a inévitablement pesé sur des audiences jusqu’alors globalement en progression ? D’évidence, le PDG, Mathieu Gallet, réserve ses annonces pour la conférence de presse de rentrée, mercredi. En attendant, ce qu’on sait déjà des grilles de Radio France s’apparente aux chaises musicales et au toilettage, sans nouveautés radicales.
Nommé à la direction de France Musique, Marc Voinchet, l’ex-tenancier des Matins de France Culture, laisse la place à Guillaume Erner, transfuge de France Inter. Dont l’émission Service public, à 10 heures, sera remplacée par un programme de reportages présenté par Bruno Duvic. C’est Hélène Jouan qui hérite de la revue de presse dans la matinale de Patrick Cohen, laissant le Téléphone sonne à un Nicolas Demorand désormais en charge de toute la tranche 18-20. Toujours en semaine, Pascale Clark est remplacée en soirée par Laurent Goumarre, venu de France Culture, et officiera le week-end. Plusieurs émissions de fin de semaine disparaissent de la grille de France Inter, comme l’Afrique enchantée, 3D ou le mythique Rendez-vous avec X. Du côté de France Info, Yaël Goosz, ancien grand reporter à RTL, prend la tête du service politique et d’un rendez-vous hebdomadaire, et la série Génération Jedi va explorer quatre mois durant l’influence culturelle de Star Wars.
Enfin, les auditeurs de France Musique devront quelque peu changer leurs habitudes, la matinale de la station commençant désormais une heure plus tôt, à 7 heures.
La rentrée n’en promet pas moins d’être tendue, dans un contexte encore plombé par l’annonce, cet été, du départ d’Olivier Poivre d’Arvor, le directeur de France Culture, qui était jusqu’alors le seul patron de chaîne à avoir sauvé sa tête à l’arrivée de Mathieu Gallet l’année dernière. Un «non-renouvellement» de contrat selon la direction, un «limogeage» pur et simple pour l’intéressé comme pour les syndicats de la Maison ronde - le SNJ a dénoncé «une image très sombre de la gouvernance [du] PDG» et l’Unsa «une reprise en main politique». La succession n’est d’ailleurs toujours pas réglée, la directrice adjointe de la station, Sandrine Treiner, assurant l’intérim.
Quant au plan de départs volontaires annoncé par Gallet le 21 juillet, qui pourrait concerner 350 salariés, il a été critiqué à la fois par les syndicats, le cabinet de conseil mandaté par les élus du personnel, le médiateur nommé par le ministère de la Culture et, à mots plus ou moins couverts, par Fleur Pellerin elle-même, qui n’y voit «pas d’injonction». La Maison de la radio reste plus que jamais, en cette rentrée, un champ de mines.
Canal +, priorité aux abonnés
Le lundi 7 septembre, les spectateurs découvriront le nouveau Canal +, remixé façon Bolloré. Après l’éviction brutale du directeur général de la chaîne cryptée, Rodolphe Belmer, débarqué début juillet par son actionnaire Vivendi, c’est son bras droit Maxime Saada qui a planché cet été sous surveillance pour remodeler la grille de rentrée. Au programme, des économies sur l’offre en clair, avec la réinternalisation de la production de plusieurs émissions, et un jeu de chaises musicales pour tenter d’enrayer la baisse d’audience d’un access prime time qui reste la vitrine de la chaîne.
La priorité affichée va aux abonnés, cœur d'un modèle qui s'effrite lentement mais sûrement, à qui l'on réserve l'exclusivité de nouveautés «premium», comme le retour de Jamel Debbouze, qui planche sur des prime time «événementiels» cryptés. C'est Maïtena Biraben, jusqu'ici aux commandes du Supplément du dimanche, qui décroche la timbale : elle s'installe à la tête d'un Grand Journal à la tonalité plus culturelle, remanié et resserré autour d'une équipe composée de Mouloud Achour, Augustin Trapenard, seul rescapé de l'ère De Caunes-Le Van Kim, et Cyrille Eldin, le gentil asticoteur des politiques. Ali Baddou la remplace au Supplément et cède la Grande Edition de la mi-journée à Daphné Bürki, qui libère le Tube sur l'actualité des médias à Ophélie Meunier, ex-chroniqueuse de la Grande Edition. Vous suivez ?
La principale nouveauté réside dans le passage en crypté des Guignols, un temps menacés, qui conservent leur budget de 17 millions d'euros et une fenêtre en clair hebdomadaire, et gagnent une nouvelle exposition sur Dailymotion, la plateforme vidéo de Vivendi - mais ils perdent leurs quatre auteurs historiques. Antoine de Caunes passe lui aussi en crypté et prépare pour octobre un late show à l'américaine de pur divertissement, nom de code : Antoine sans fiche.
Canal + renforce aussi ses fictions originales, avec notamment le nouveau Versailles du Britannique Simon Mirren (FBI, portés disparus et Esprits criminels), et proposera davantage de sport avec quatre matchs du Top 14 de rugby au lieu de deux, et les Jeux olympiques de Rio en 2016.
Au final, un toilettage bien plus qu’une rupture, en ligne avec les fondamentaux de la chaîne, qui veut ajouter un nouveau «pilier» de divertissement à son triptyque cinéma-sport-créations originales. Assez pour limiter la casse et se distinguer face à la déferlante des nouveaux venus 100 % Internet comme Netflix, qui vient de passer son forfait standard à 9,99 euros ? Canal +, certes, en propose beaucoup plus, mais à 39,90 euros par mois… Un prix qu’il devient compliqué de justifier auprès des consommateurs.