Le choix est prudent : Sandrine Treiner, numéro 2 de France Culture, devient numéro 1. Il était plus que temps pour Mathieu Gallet, en ce jour de conférence de rentrée à Radio France, d’annoncer celui ou celle qui allait succéder à la tête de la station à Olivier Poivre d’Arvor, limogé en juillet. Le patron de Radio France, qui marche sur des œufs, a opté pour la continuité.
Alors que la radio publique se remet à peine de la grève qui a paralysé une partie de ses antennes pendant un mois au printemps et qu’un plan de départs volontaires est toujours d’actualité, Mathieu Gallet n’est toujours pas en odeur de sainteté chez sa ministre de tutelle, Fleur Pellerin. Le limogeage d’Olivier Poivre d’Arvor, un peu trop critique à l’égard de sa direction, s’est réglé par scuds interposés dans la presse. Et si le président de Radio France a été blanchi par l’Inspection générale des finances sur des dépenses jugées exorbitantes, il est encore sous le coup d’une enquête pour favoritisme concernant son mandat à la tête de l’Institut national de l’audiovisuel (INA).
Mieux valait donc ne pas faire de vagues, et la nomination de cette historienne de 50 ans, arrivée aux côtés de son prédécesseur, en 2011, comme directrice adjointe de France Culture en charge de l’éditorial, va dans ce sens.
«Bonne nouvelle», «très légitime», «grande culture», «connaît la maison», «exigence», «une certaine idée du service public» : des mots déjà entendus de la part des collaborateurs de la Maison ronde lors de la nomination de Laurence Bloch à la tête de France Inter il y a un an. Comme pour cette dernière d'ailleurs - ou Laure Adler à France Culture (1999-2005) -, certains pointent une rudesse dans le management ; un reproche que l'on entend rarement quand on évoque la progression d'un homme.
«Ce soir ou jamais»
Mais à la différence de Laurence Bloch, Sandrine Treiner n'a pas fait toute sa carrière au sein de la Maison ronde. Son profil, cependant, semble taillé pour ce qui fait l'essence de la station culturelle : c'est au journal le Monde qu'elle a commencé sa carrière, entre le service Livres et le supplément radio-télévision. Littéraire dans l'âme, «très grande lectrice», selon ses collaborateurs, elle a travaillé pour de nombreuses émissions culturelles de service public : elle dirige l'émission Un livre, un jour dès 1998 sur France 3, puis rejoint Frédéric Taddeï comme rédactrice en chef adjointe de l'émission Ce soir ou jamais.
Elle réalise par ailleurs plusieurs documentaires culturels pour la télévision et un moyen métrage de cinéma adapté d'Inconnu à cette adresse, de Kathrine Kressmann Taylor, diffusé sur France 3. Quant à sa capacité à épouser la dimension internationale de la station de service public, elle peut la puiser dans son expérience de rédactrice en chef des magazines de la culture à France 24. Elle est aussi l'auteure de plusieurs ouvrages, dont le très remarqué l'Idée d'une tombe sans nom, paru en 2013 chez Grasset, un roman qui explore, à partir d'une photo, les traces d'une jeune juive éliminée par le pouvoir stalinien.
«Ça a été une directrice adjointe assez exceptionnelle. Elle sait ce que c'est de faire une émission, ça lui donne un vrai plus», se félicite Caroline Broué, productrice de l'émission de débat la Grande Table. «C'est d'abord quelqu'un qui se vit journaliste, en lien avec l'actualité», ajoute - et regrette un peu - un confrère de la station. Si la radio n'est pas sa vocation première, cette auditrice de longue date de France Culture «a montré un goût pour se plonger dans la mécanique de la radio au quotidien», assure un autre de ses proches collaborateurs.
Premier boulet
Au-delà de ce parcours, les chaises musicales de l'été lui ont, elles aussi, été favorables. Le transfert de l'animateur et producteur des Matins de France Culture, Marc Voinchet, à la direction de France Musique, où officiait jusque-là Marie-Pierre de Surville, avait ébranlé la promesse de parité faite par Gallet à son arrivée.
Mais aux circonstances compliquées de sa nomination s'ajoute pour Sandrine Treiner un premier boulet : après un record historique à 2,3 % d'audience cumulée au début de l'année, la station a pâti de la grève, retombant à 1,8 %. Pour remonter, la nouvelle équipe mise sur l'arrivée de Guillaume Erner (ex-Service public sur France Inter) aux Matins et le nouveau tandem formé par Mathilde Serrell (Canal +) et Martin Quenehen (Une vie, une œuvre, Culture) sur l'autre tranche cruciale de 19 heures.