Des Mémoires d’outre-tombe bientôt dans la mer ? Un péril guette la dernière demeure de Chateaubriand, érigée face à la mer et tournée vers le large. Sur l’îlot du Grand-Bé à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), devant un panorama sublime, le sépulcre du pionnier du romantisme français est menacé par l’érosion qui dévore la côte d’Emeraude. L’un de ses piliers en granite, installé au bord du gouffre depuis juillet 1848, se rapproche dangereusement du versant de la falaise. «On nous a signalé que l’espace entre les poteaux qui entourent la tombe et bordent la falaise, et le vide, s’était réduit de plus en plus. Ce qui est vrai. Je l’ai moi-même constaté le 4 juillet», date anniversaire de la mort de l’écrivain, s’inquiète le maire de Saint-Malo, Gilles Lurton, auprès de Ouest-France. «Le côté droit de la tombe est au bord de la falaise alors qu’il y a quinze, vingt ans on pouvait faire le tour de la tombe à pied», ajoute-t-il.
Michel Désir, administrateur du Souvenir de Chateaubriand, association qui a pour but de faire connaître l’œuvre de l’écrivain, se montre également inquiet : «A ce jour, il m’est désormais impossible d’accéder par l’arrière du tombeau pour fixer sur la croix la gerbe de blé et de fleurs des champs.» Interrogé par Radio France, il partage sa crainte : «Je m’inquiète car je vois ici une rainure située un mètre à l’intérieur du tombeau, et ça peut lâcher.»
«Traiter le problème avant l’urgence»
Michel Désir détaille son appréhension sur ce phénomène croissant amplifié par le réchauffement climatique : «Il y a deux ans, je pouvais me glisser avec précaution. L’année dernière, je pouvais passer un pied en me tenant à la grille. Cette année, j’ai escaladé la grille. L’année prochaine ?» Sur la tombe de granit surmontée d’une croix imposante, un panneau indique : «Un grand écrivain français a voulu reposer ici pour n’y entendre que la mer et le vent. Passant, respecte sa dernière volonté.» Aujourd’hui, un filet de sécurité protège le sépulcre.
Interview
L’édile de Saint-Malo se veut toutefois rassurant. «La roche paraît quand même très solide», estime Gilles Lurton à Ouest-France, avant d’ajouter : «Il est nécessaire de traiter le problème avant l’urgence.» Pour se prémunir du moindre danger, la mairie, propriétaire du monument, prend le dossier au sérieux. Une étude géologique sur l’état de la falaise a été commandée afin de «comprendre cette érosion et prendre la meilleure décision possible», détaille Isabelle Dupuy, adjointe au maire de Saint-Malo chargée de la vie culturelle, au micro de Radio France. «On a pris la décision de lancer une mission de diagnostic et après on demandera l’avis de la direction régionale des affaires culturelles», complète le maire. Les résultats sont attendus l’an prochain.
«Evénement national»
Faut-il remonter le tombeau «en haut du Grand-Bé» pour l’éloigner de l’érosion comme le suggère Michel Désir, pour qui c’est la seule solution viable ? Le spécialiste de l’auteur de Mémoires d’outre-tombe souligne que ce «problème s’était déjà posé il y a plus d’un siècle», en 1924. La famille du romantique français avait donné son aval à un déplacement du caveau, mais faute d’accord entre les experts, le tombeau était resté implanté face à l’eau turquoise.
Déplacer un jour la tombe loin de l’îlot du Grand-Bé, «ça me paraît compliqué, relève de son côté Gilles Lurton. Pour moi, s’il faut la déplacer, il faut la reculer, mais je m’avance beaucoup en disant cela». Déplacer la dépouille de l’écrivain français constituerait selon lui «un événement national». Face à l’érosion côtière qui grignote le littoral français, même Chateaubriand se retrouve au bord du gouffre.